Journal de Jane Steward - Partie 16 -
Je retournais régulièrement sur l'île pour m'y reposer. J'aimais son calme et le sentiment de sécurité que j'éprouvais là-bas.
Après avoir dépassé la chappe de nuage, je la trouvais toujours isolée et abandonnée à mon seul caprice.
J'aimais la retrouver simple et tranquille, libre de toute entrave et de toute civilisation.
Bien souvent, je me disais que je ne devais pas être la seule à connaître cette île car je trouvais à chacune de mes arrivées un bouquet de fleurs différent et renouvelé à chaque fois en signe de bienvenue ainsi qu'une magnifique coupe de fruits succulents.
Je n'osai parler de cette île à qui que ce soit, ni à Emma, ni à mes collégues, j'avais trop peur qu'ils brisent de leur visite, la magie et la solitude que j'y trouvais.
Quelqu'un devait certainement y venir comme moi car qui déposait ses fleurs et ses fruits sinon...
J'osai écrire une fois sur une bout de papier un simple Merci, mais je n'eus jamais aucune réponse.
Je me contentais alors de cette avalanche de cadeaux anonymes qui ne m'étaient peut-être même pas destinés mais dont je profitais comme une reine.
Et pendant des heures, je rêvassais libre de toutes responsabilités.
Je venais sur cette île à heure régulière, bien souvent en début d'après-midi, jusqu'à ce que je décide de changer mes habitudes dans l'intention de suprendre mon bon samaritain.
J'entreprenais de venir au moment précis où le soleil se couchait et d'accéder par l'autre côté de l'île : sur le versant opposé.
La journée avait été chaude en ce début d'automne et, la nuit promettait d'être exceptionnellent douce. Une soirée idéale pour prolonger cette balade nocturne.
J'accostais donc prudemment à proximité des rochers et amarrait mon bateau.
Puis j'escaladais précautionnement les rochers pour faire le tour de la grotte.
Sans bruit, je me cachais derrière les buissons odorants et me collait contre la paroi rocheuse.
De là, j'avais une vue parfaite sur l'intérieur de la grotte si je faisais juste un petit pas de plus.
Je respirais profondément le coeur battant et m'approchait pour regarder.
Un homme se tenait à la place exacte ou j'avais pris l'habitude de me reposer !
Mon coeur se mit à battre la chamade.
Il semblait, tout comme moi, apprécier le calme et la tranquilité de l'île : serait-ce mon mystérieux samaritain ?
Mon coeur bondit, il se levait ! M'avait-il entendue ?
Je n'osais m'écarter, de peur de l'alerter.
Ma respiration devint saccadée. Je n'arrivais plus à bouger.
"Que faites-vous là ! " me lança soudain une voix grave et séche juste derrière moi. "Vous êtes sur mon île... Partez immédiatement !"
Je sursautais. Comment avait-il réussi à savoir que j'étais là ? Je crus un instant qu'il allait répliquer à mon interrogation muette mais il me tourna le dos sans se préoccuper de moi.
Avais-je bien entendu : il me chassait ? Quel rustre !
"Excusez-moi" bégayais-je "Mais...."
"Mais quoi..." me répondit-il en se retournant menaçant. "Vous n'êtes pas la bienvenue ici, partez..."
De nouveau, il me tourna le dos pour s'éloigner et magré moi, je me mis à le suivre en risquant :
"Attendez... je vous en prie... attendez s'il vous plait..."
Il s'arrêta net et me fit de nouveau face :
"Qu'est-ce que vous voulez !" ronchonna-t'il "Vous me faîtes perdre mon temps !! Et mon temps est précieux !"
Puis contre toute attente, il se dirigea à grand pas vers moi.
"Vous êtes archéologue ? Vous travaillez sur cet île ?" l'interrogeais-je rapidement de peur qu'il ne s'en aille à nouveau.
Il eut malgré lui un petit rire avant de reprendre son air ténébreux et désagréable. Il me regarda longuement puis au bout d'un long silence, il répliqua :
" Je crois que je n'ai pas de compte à vous rendre... il me semble..."
Sa voix était posée juste un peu ironique.
"Bien sûr... je ne vous en demande pas non plus... Je voulais juste être courtoise..." bredouilllais-je d'une voix faible.
"Et bien je n'ai pas le temps d'être courtois, désolé, j'ai du travail... et si votre conversation se borne à parler de la pluie ou du beau temps, nous n'avons rien à nous dire..."
"Alors ?" questionna-t'il encore agacé.
Il était si présomptueux que je me détournais de lui. Non, ce goujat infâme ne pouvait être le galant samaritain qui me déposait fleurs et fruits tous les jours !
"Alors !" tempesta-t'il presque en tapant du pied.
"Alors, rien. Vous avez raison. Partez faire ce que vous avez à faire... Je me suis trompée, j'attends quelqu'un d'autre, et à mon avis, ce quelqu'un n'a rien à voir avec vous..."
Il y eut un long silence que nous aurions pu couper au couteau. Il me faisait face avec toute sa mauvaise humeur et son arrogance.
L'homme était grand, presque amaigri, son visage était lui-même émacié paré de cheveux noirs coupés courts et grossiérement comme si il avait été durement taillés au couteau. Il portait une longue veste noire à grosses boucles, sur une chemise blanche largement ouverte et un pantalon noir. Il avait l'air égaré, hagard, comme aussi abandonné que l'était l'île ou il se trouvait.
Je n'arrivais pas à me laisser berner par son tempérament orageux comme si son air revêche cachait quelque chose.
"Personne ne vint ici à part moi" dit-il soudain presque agressif. "Alors qui espériez-vous d'autre !"
"Juste une personne que je souhaitais remercier pour... les fleurs et les fruits que j'ai trouvés chaque fois, en venant ici..." bafouillais-je malgré moi, intimidée.
"Ah ! C'est vous, la voleuse !" clama-t'il soudain "Je vous met enfin la main dessus !!!" C'est vous qui voliez mes fleurs et mangiez mes fruits !!! Je me demandais bien qui avait le culot de faire une chose pareille !"
J'étais estomaquée. Moi qui avait pensé aux cadeaux d'un galant samaritain !
Il éclata d'un rire sarcastique :
"J'ai compris ! Vous pensiez que je vous les offrais ! C'est bien une idée de midinette çà ! Ah je comprends votre air énamouré maintenant !"
Il m'imita avec moquerie : "J'attend quelqu'un d'autre et à mon avis il n'a rien à voir avec vous..."
Il repris sa voix normale avant d'ajouter :
"Alors !"
Je le regardais pleine de mépris. Quel personnage insupportable ! Je n'avais qu'une envie c'est de lui arracher les yeux mais ce serait lui donner trop d'importance !
"Alors rien." répliquais-je pincée "Vous êtes seulement odieux."
"Repartez donc dans votre souterrain, jouer avec vos momies. Si vous voulez mon avis, elles ne seront pas prêtes de vous contrarier, elles !"
"Et vous laissez ici, seule ! Jamais de la vie ! Je ne vous lâche pas d'une semelle ! J'ai trop peur que vous me dérobiez quelque chose auquel je tiens ! Et tout ici est à moi !"
"Mais cette situation est ridicule ! J'ai juste profité de me reposer un peu sur ce lit avant de repartir, et je ne vous ai rien volé du tout..."
"Quelques fleurs et quelques fruits... Tiens si je pouvais, je vous les..."
Je m'arrêtais net avant que mes mots dépassent ma pensée. Comment pouvais-je me laisser emporter à cause d'une personne que je connaissais à peine !
A mon tour, je lui tournais le dos et me dirigeais vers la grotte.
De magnifiques fleurs bleues avaient été déposées sur les tapis rouges qui jonchaient le sol de la grotte ainsi que de savoureux fruits exotiques. Le plaisir de retrouver des fleurs, des fruits dans cet endroit paradisiaque, prompt à la relaxation, me fit complétement oublier nos houleux échanges. Je n'avais envie que de me souvenir des bons moments que j'avais passé ici, seule, à croire que j'étais choyée et en sécurité.
"C'est vraiment trés joli... Vous avez beaucoup de goût... pour un archéologue..." ajoutais-je d'une voix douce. "J'ai vraiment aimé me reposer ici, sur votre île... Pardon pour le dérangement..."
"Qu'est-ce qui vous dit que je suis archéologue..." répondit-il d'une voix radoucie même si le ton était encore un peu sec.
Je ne le regardais pas. Je me surprenais à aimer le timbre de sa voix.
"Rien, c'est vrai... Je suis juste descendue dans la salle cachée, derrière, là-bas... et j'ai supposé que..."
"Il me semble que vous avez l'imagination débordante et que vous vous laissez aller à des conclusions quelques peu hâtives... n'est-ce-pas ?"
Sa voix était posée, pour une fois, pas du tout ironique. Je ne prenais pas la mouche. J'eus un petit rire.
"Oui c'est vrai..."
Il y eut un silence.
"J'aimerai pouvoir me fier à moi... mais... je ne peux pas..."
"Et pourquoi, dîtes-vous cela ?"
Je n'arrivais pas à répondre.
"Excusez-moi, je dois partir... "
Je baissais la tête et m'éloignait sans me retourner.
J'entendis sa voix derrière moi :
"Vous reviendrez, n'est-ce-pas ?"
"Oui..." m'entendis-je dire dans un souffle.
"Tous les jours ?"
"Dés que je pourrais revenir..."
"Vous aurez toujours des fleurs et des fruits pour vous accueillir ici... et vous serez toujours la bienvenue..."
"Merci..."
"Merci à vous..."