Journal de Jane Steward - Partie 25 -

Je jetais un dernier coup d’œil pour m'assurer qu'Aydann Crosswood s'installait bien pour dormir.  

Une simple pomme empoisonnée l'avait tenu à l'écart pour aujourd'hui mais je savais que demain serait un autre jour : un autre jour où je devrais lutter contre lui et surtout contre moi-même. 

Je savais que je ne pourrais plus dormir avant plusieurs heures, trop énervée par mes pensées.

Je décidais donc de lire tous les livres que je pourrais dans ce laps de temps et me gaver l'esprit de toutes les connaissances que mon cerveau pourrait emmagasiner. 

Le grand grimoire me révéla que je pouvais créer une fiole d'illumination afin d'accélérer encore plus mon apprentissage. C'était ma planche de salut : trouver de nouvelles potions, des formules magiques efficaces car tout serait bon pour m'aider à tenir contre l'influence hypnotique d'Aydann Crosswood. 

J'étais prête à tout essayer pour m'occuper la tête et penser à autre chose, qu'à accepter de lui servir tout bonnement de nourriture.

Quatre jours encore à tenir... 

Je savais que chaque heure était précieuse, je décidais éreintée de créer cette potion de savoir sans plus attendre.

Par chance, Emma avait déjà rassemblé tous les ingrédients dont j'avais besoin : cardamome, baie de Genévrier, ailes hétéroptère... 

J'eus, en une heure à peine, un élixir à boire.  

Je me laissais envahir par la magie de la potion, pleine d'espoir. 

Puis malgré mon appréhension, je me décidais de me coucher pour une petite sieste. 

A mon réveil, la douleur me taraudait de plus belle, et la fièvre ne me lâchait plus. Je tremblais comme une feuille, prise de convulsions terribles. Le vampire m'avait inoculé par ses saignées, je ne savais quel mal-être en prime : un alanguissement terrible qui brisait toute ma volonté de vouloir lui échapper et qui me laissaient aussi de longs moments sans réaction.

Je me trouvais finalement chanceuse de connaître l'origine de mon mal et, savoir qu'un vampire était responsable de tous ses symptômes me permettait de trier mes comportements et de les gérer au mieux.

J'essayais donc de faire avec et surtout de ne pas les laisser m'envahir par eux. J'accrochais ma raison à cette réalité comme un naufragé se cramponne à sa bouée.  

Je me levais, prête à essayer de nouveau, quelques formules magiques.

Puis soudain, à ma grande surprise, je réalisais que j'avais été capable de maîtriser la magie.

Je savais qu'avec cette passe magique, je pourrais faire ce que je voulais : j'en avais l'intuition ! Je devais juste avoir les bonnes formules à prononcer avec.

C'est à ce moment précis que j'entendis la voix d'Aydann Crosswood râler derrière moi : 

"Il est Minuit, Sorcière. Cesse tes tours, et viens immédiatement. C'est un ordre !"

Le ton était péremptoire et ne souffrait aucune réponse.

Je m'exécutais plus par convenance que par envie de lui plaire. J'avais seulement hâte de compter un jour de moins à lui résister.

 "Me voilà, Vampire. Fais ton office." dis-je d'une voix sans timbre en me plantant devant lui à un pas à peine de mon refuge.

Il eut un long moment de silence où, il m'observa. Puis soudain, contre toute attente, il effleura ma joue avec légèreté, presque tendresse.

"Vous vous êtes blessée, Jane. Qu'avez-vous donc fait cette fois ?" 

Il accentua la caresse de ses doigts sur ma joue tuméfiée.

"Je n'aime pas du tout quand vous vous faîtes du mal." monologuait-il d'une voix immatérielle et séductrice en plantant sur moi son regard de braise.

"Je veux vraiment que vous fassiez attention à vous, Jane."

Sa voix était langoureuse presque apaisante, une tentative d'endormissement pour que j'évite de me contracter, je n'étais pas dupe mais c'était si bon de sentir son être entier se détendre enfin après de longues heures de tension. 

Alors que je me sentais défaillir à son contact, il me saisit les épaules afin de m'attirer brusquement à lui, prêt à planter ses canines dans ma gorge.

"Vous m'avez fait attendre, Jane" prit-il le temps de murmurer à mon oreille.

Puis il se contenta de me plaquer tout contre lui frottant son ventre au mien et grognant de plaisir tout en jouant avec moi comme un chat avec une souris.

Je le sentais coller sa bouche à ma peau comme pour chercher le meilleur endroit à mordre, et tandis que ses lèvres glissaient sur mon cou, j'étais envahie par de délicieux picotements.

Après un long moment, il finit par planter ses crocs, d'abord doucement, plus pleinement jusqu'à ce que j'entende un bruit de succion suivi d'un râle de contentement. 

A ma grande surprise, chaque geste était mesuré, comme pour rendre plaisant ce moment que je redoutais le plus.

Et au lieu d'être envahie par le peur de mourir, je me trouvais comme dans un état second : entre douleur et délice.  

Souhaitait-il me faire comprendre qu'il avait besoin de moi et qu'il pouvait être respectueux avec sa "nourriture"?

J'essayais de ne pas me laisser emporter par l'émotion de sa soudaine attention : il cajolait seulement sa future subsistance comme un lion léchait une gazelle avant de la dévorer, c'est tout ce que je devais penser de lui.

Mais il anéantissait la moindre de mes volontés.

J'étais pantelante et étourdie comme à chaque fois qu'il aspirait mon sang. Mes bras étaient ballants, mes jambes flageolaient et ne me portaient même plus.

Il me repoussa de lui avec délicatesse, supportant de sa force le poids de mon corps qui s'alourdissait tandis que je restais sans réaction.

Quand je revins à moi, je pus voir ses yeux ardents plongés dans les miens.

Vous revoilà, Jane." me dit-il presque inquiet. "Je suis presque jaloux de l'effet que mes saignées vous font, vous semblez les apprécier plus que moi."

Je ne répondais pas.

Je n'avais pas envie de le conforter dans ce qu'il savait déjà et lui montrer encore plus ma dépendance.

"Pensiez-vous, Jane, que nous aurions pu être heureux ensemble, vous et moi ?" continuait il d'une voix mielleuse tout en me caressant la jouet.

Je me demandais quel piège, il était en train de me tendre, mais j'étais trop affaiblie encore pour reculer.

"Je ne sais pas" murmurais-je  laissant malgré moi les mots franchir mes lèvres.

Il sourit.

"Je pourrais faire de vous mon amante éternelle, Jane. Si je faisais de vous un vampire. N'est-ce pas la plus belle preuve d'amour que je pourrais vous offrir ?"

"Votre amante éternelle ?" demandais-je encore hébétée. 

"Oui, Jane."

Il se plaqua contre moi et chercha à sentir de nouveau mon ventre contre le sien, déclenchant des milliers de frissons de plaisir.  

"Je vous ai déjà contenté en tant qu'homme et c'était fort agréable de sentir que vous aussi aviez du désir pour moi... Je pourrais être de nouveau votre amant, Jane. Et ce éternellement. Que diriez-vous d'être aimée et cajoler toute votre vie ?"

Je rougis au souvenir des nuits torrides que j'avais eues avec lui.

"Je ressens votre âme vibrée à l'écho de la mienne..." poursuivit-il tout en m'attirant plus à lui et en caressant mon dos. "Je sais que vous avez besoin de moi... comme j'ai besoin de vous... Pourquoi ne pas envisager de conquérir le monde ensemble ? N'avez-vous jamais eu des désirs de grandeur ? Que dîtes-vous si je faisais de vous la Reine de mon Royaume."

Puis étrangement, il m'embrassa fougueusement.

"Dîtes Oui, Jane. Demandez-moi de faire de vous ma femme pour l'éternité. Libérez-moi. Allons chercher notre enfant et partons d'ici... Conquérons le monde, il n'attend que nous."

Pendant qu'il me soufflait ses mots chaudement près de mon cou, il se faisait plus pressant dans ses caresses, déclenchant chez moi une avalanche de ravissement qui déferlait en moi, brouillant ma raison. 

"Jane" gémissait il "Vous ne pouvez pas nous laisser ainsi... "

Il émettait des petits sons en embrassant à la fois mes lèvres, mon cou, mes épaules avec passion tandis qu'il dégrafait ma robe et commençait à me faire l'amour.

"Vous m'aimez, Jane, je le sens... Je serais à vous pour l'éternité. Vous n'avez qu'un mot à dire. Un seul."

Il ronronnait à mon oreille endormant tous mes sens, de sa voix, de ses caresses, de ses baisers ardents déployant tous son savoir-faire pour me séduire.

J'étais anesthésiée par tous ces artifices. Je sentais mon corps répondre traîtreusement et positivement à chacune de ses tentatives tandis que ma raison se laissait enivrée par ses paroles bienfaisantes, charismatiques, hypnotisantes et renversantes.

Comment avais-je pu en arriver là ? Je devais réagir !

Je tentais de m'écarter de lui, refusant ces accolades intimes, tout en brandissant ma baguette magique que j'avais cachée sous les plis de ma robe.

Il eut un mouvement de recul.

"Voyons, Jane. Pas de ça entre nous..." 

Mais je n'avais pas l'intention de me laisser berner une minute de plus par ses tentatives de charme.

"Jane !" hoquetait-il surpris. "Pourquoi ?"

 

Je commençais à prononcer ma formule magique, sourde à ces supplications.

"Enfin, il me prenait au sérieux" me dis-je mentalement avec un petit sourire satisfait.   

Je ne perdis pas une seconde pour l'emprisonner et le soulever du sol le contraignant à se recroqueviller sur lui-même, il était totalement en mon pouvoir e je me surprenais à aimer cela.

Tandis qu'il était maintenu en l'air, je reculais pas à pas vers mon refuge. 

Une fois à l'abri, je le libérai. Il retomba doucement sur le parquet.  

Pendant que je rangeais ma baguette magique, il me regardait d'un air amusé.

"Bien joué, Sorcière. Tu m'as bien bluffée encore une fois..."

Je le regardais s'avancer et continuer à me narguer.  

Je restais sur mes gardes, prête à tout.

"Je n'aurais pas cru que tu aurais pu être capable de me résister, Jane." murmura-t'il d'une voix anormalement rauque. "Tu es devenue mentalement plus forte." 

Il marqua une pause.

"C'est bien. Tu deviens enfin une adversaire à ma hauteur."

Je frissonnais ressentant de la menace dans sa dernière phrase. 

"Je vais donc t'expliquer ce qui risque de t'arriver, maintenant, Sorcière puisque nous avons, dirons-nous, fini les préliminaires."

Il grogna apparemment il était extrêmement contrarié. Je ne lui laissais pas reprendre l'avantage.

 

"Je n'ai pas envie de t'écouter, Vampire" dis-je irritée par ses fulminations.

"Retourne donc dormir et laisse-moi tranquille." lui dis-je d'un ton sec.

"Souviens-toi de la pomme empoisonnée. Je peux toujours me décider de la manger et mettre fin à cette mascarade. Et tu sais que j'en suis capable !" le défiais-je soutenant son regard de braise sans ciller.

Il me jucha avec dédain et puis eut un petit sourire narquois :

"J'ai eu le temps de réfléchir à cette histoire de pomme, Sorcière. N'essaye donc plus de me dicter ce que je dois faire avec cette prétendue menace ! As-tu pensé à ton fils ? Si tu te suicides qui s'occupera de lui ?"

Je blêmissais. 

"Emma s'occupera de lui" répétais-je d'une voix blanche.

Il se mit à rire d'une façon démoniaque.

"Bien sûr, tu n'as toujours rien compris, Sorcière !" 

Il se mit à rire de plus belle, et j'eus peur de ce qu'il allait me dire. Je savais que sa méchanceté était sans limite quand il était contrarié. 

"Oh, ce n'est pas la peine de fuir, Emma-Jane" persifla-t'il en ayant un air hargneux. "J'ai encore plein de chose à t'apprendre. Tu n'es pas au bout de tes surprises !"

Emma-Jane ? Je restais sidérée. Pourquoi m'appelait-il ainsi ? 

"Tu ne vois toujours pas, Sorcière ?" minauda-t'il entre colère et exultation.

J'étais toujours immobilisée par la surprise et par sa mielleuse insistance. 

Il se campa sur ses pieds avec un petit rire sardonique et s'appuya lascivement contre le mur qui jouxtait la porte, tandis que je me tournais à nouveau vers lui.

Il crâna un instant, ravi de voir mon air déconfit puis croisa les bras. J'haussais les épaules en signe d'incompréhension : décidément, je ne comprenais pas.

Il parut surpris comme si il pensait que je mentais feignant sciemment ce trou de mémoire. Il me détailla comme si il sondait mon esprit. Puis après un court instant, il continua :

"Et bien, laisses-moi te rafraîchir la mémoire."

Sa voix était étrange, quasi menaçante, je ne pus m'empêcher de frissonner sous cette intention. 

Il me regarda de nouveau avec un regard pénétrant.

"Au début" susurra-t'il  "je n'avais pas vraiment fait le rapprochement... puis comme je te l'ai dit, j'ai eu le temps d'y penser." 

Il tenta de franchir la porte qui nous séparaient déclenchant immédiatement la barrière qu'Emma avait dressée entre nous pour me protéger. Il grimaça de douleur mais resta au plus proche de moi, comme si souffrir lui importait peu.

"Je me demandais pourquoi j'avais de l'attirance pour toi, Jane. Moi le vampire Millénaire. Je l'ai compris quand j'ai bu ton sang. Jamais je n'oublierais cette saveur particulière. Ce goût inimitable, vaporeux, enivrant. Parfaitement à ton image. Et je savais où et quand j'avais déjà goûté ce sang. Il y a très longtemps, c'était en France, pendant l'hiver 1348."

Je tentais de m'écarter pour ne pas l'écouter, sûre qu'il cherchait à m'entourlouper avec encore une de ses histoires rocambolesques mais il m'en dissuada rapidement.

A cette distance, il était encore capable de me forcer à lui obéir, je m'en aperçus aussitôt.

Je sentis soudain, tandis qu'il me dévisageait avec puissance, un étau qui se resserrait sur moi et me forçait à avancer près de lui centimètre par centimètre, comme si il avait tendu entre nous un filin qui m'attirait régulièrement à lui. 

La barrière magique crépita une nouvelle fois, malgré sa souffrance, il ne bougea pas.

"Il y a longtemps, très longtemps, j'ai croisé la route d'une sorcière du nom d'Emma-Jane" commença-t'il d'une voix basse la mâchoire serrée par la douleur. "C'était la fillette d'une famille de sorciers que j'ai décimées jadis par plaisir, nous étions le 8 décembre 1348." 

Il sembla se replonger dans ses souvenirs tout en s'affaissant en arrière comme brisé par un lourd fardeau.

"Pourquoi ais-je épargné cette petite harpie aux cheveux rouges qui gigotait au bout de mon bras ? Je ne sais pas.

Peut-être à cause de la force de caractère qu'elle détenait déjà.

Personne n'avait osé me tenir tête et elle, du haut de ses sept ans, m'invectivait comme une démenée jurant qu'elle se vengerait de moi et qu'elle me retrouverait où que je sois pour me tuer.

Elle m'a tant amusée qu'après l'avoir vampirisée, je l'ai laissée pour morte, là dans la neige rougie par le sang de ses parents."  

Il marqua une nouvelle pose avant d'ajouter :

"Pour être franc, je l'avais complètement oubliée, j'ai décimé tellement de monde ces années-là que je ne me souvenais même plus d'elle et de sa famille."

Il soupira longuement :

"Je croyais qu'elle était morte de faim là où je l'avais laissée. Mais non, c'était mal la connaître. Sa haine était si féroce envers moi qu'elle avait survécu à la maladie et la famine."

Ses yeux semblaient noyés dans le vide : 

"J'ai envié la violence de ces sentiments que je ne connaissais plus, envié sa passion et son obstination, moi qui en manquait tant, car j'étais las de mon éternité."

J'osais le dévisager cherchant une étincelle dans ses yeux de braise mais son regard était toujours plongé dans le passé, il continua d'une voix à peine audible :

"Malgré l'évidence : elle n'avait aucune chance contre moi. Elle s'entêta à m'affronter pendants des jours entiers, des semaines même, se moquant de son propre corps meurtri par mes crocs et de mes soifs inextinguibles. Elle cherchait en vain comment elle pourrait avoir sa vengeance même en acceptant ses moments là."

Il baissa la tête :

"Elle a essayé toutes les armes contre moi sans répit me traquant nuit et jour au même titre qu'un bon nombre de personnes lasses d'avoir à compter leurs morts dans les alentours où je m'étais installé.

Mais aucun n'avait sa colère et sa détermination, ils abandonnèrent la chasse bien avant elle."

Il soupira longuement :

"Puis les temps ont changés pour moi, l'étau se resserrait et je ne pouvais plus tuer sans que mes exactions ne passent pas inaperçues, et à force d'être pourchassé de toute part, j'ai décidé de disparaître et de me faire discret.

C'est à ce moment qu'elle m'a retrouvé alors que je vivais reclus dans un château hongrois. Elle était devenue une vieille femme mais elle avait toujours gardé sa colère intacte à mon égard." 

Je l'écoutais comme si je n'avais rien à voir avec cette histoire, tout me paraissait si irréel, comment pourrais-je être cette petite fille dont il parlait, et cette vieille femme qui le harcelait depuis des décennies ? Je n'avais pas de haine pour lui bien au contraire. 

Sans se soucier de mes interrogations, il poursuivit d'une voix rauque :

"Elle a toujours été incapable d'oublier que j'étais le meurtrier de ses parents. Elle ne m'a laissé aucune chance... mais comment aurais-je pu l'en blâmer. Si moi, je perdais en obstination, las d'une vie éternelle insipide, elle était devenue de son côté une sorcière confirmée.

A peine ce fut-elle assurée que j'étais bien celui qu'elle cherchait, et bien avant que je ne puisse la vampiriser à nouveau, elle me lança un sort.

Elle enferma mon âme millénaire au plus profond de mon être afin que je ne puisse plus jamais recommencer les massacres dont j'avais été capable.

Au moment où elle pensa me tenir à sa merci, qu'elle me lança pleine de satisfaction qu'elle allait être "ma geôlière à vie" parce qu'elle avait bu de son côté une fiole d'immortalité, elle découvrit trop tard que moi aussi je l'avais piégée sans jamais le lui dire."

J'haussais un sourcil surprise par ce qu'il me disait, et il eut un petit rictus sur les lèvres.

"Les vampires ont cette particularité de "recruter" chez les humains, ceux sur qui ils pourront toujours se nourrir, afin d'assurer éternellement leur subsistance et, ne jamais manquer de sang. Une façon simple de prévoir les moments de disette."

"C'est un peu comme une règle de chasse si vous voulez. Nous réfléchissons selon nos besoins. Si le gibier est riche et abondant peu nous importe de le supprimer ou de nous amuser avec."

Je frissonnais sous la froideur de son regard, il continua sans y prêter attention :

"Et si au contraire le gibier se fait rare, nous nous créons des sbires humains. Ils serviront à nous nourrir dans nos jours de réclusion en répondant immédiatement à notre appel.

C'est ce que j'ai fait de cette sorcière sans qu'elle ne s'en rende compte. Il m'a suffit de sept jours seulement pour faire d'elle une de mes servantes, lui voler toute son énergie vitale et m'approprier son corps et son âme... tandis qu'elle pensait m'amadouer avec tous ses salamalecs. Voilà pourquoi Emma est toujours à mes côtés, aujourd'hui."

Je sursautais. Le seul lien qui avait entre son histoire et la mienne se trouvait là. Cela correspondait aux recommandations d'Emma. Ne pas le laisser boire mon sang plus de sept jours, et de ne pas le nourrir plus d'une fois.  

Il plongea son regard soudainement très sombre et tourmenté dans le sol : 

"Tu as fait de moi un vampire fantoche, moitié humain. J'ai depuis que tu m'as jeté ce sort dû apprendre à concilier mes deux natures, l'une me rappelant sans cesse les défauts de l'autre dans un cauchemar interminable. La vie se serait chargée de me donner la même leçon, mais toi, tu as voulu être la première à me le faire comprendre et à me le faire payer au prix le plus cher."

Son regard lourd de reproche me condamnait et sa froideur me glaça le sang, je voyais dans ces yeux combien il me détestait et c'était insupportable.

"Nous sommes en train de modifier notre futur en ce moment, n'est-ce-pas ? J'aurai dû me douter que tu pouvais pas te contenter de me servir à jamais, Sorcière. Je ne pense pas avoir été pourtant un mauvais maître pour toi..."  

Sa phrase "je ne pense pas avoir été un mauvais Maître pour toi" chargea de me liquéfier sur place. Ainsi il ne me considérais que comme une "servante" !

Je ne comprenais rien ou je ne voulais pas comprendre : tout cela ne pouvait être possible. J'avais des sentiments pour lui et un fils ! Malgré moi, je fronçais les sourcils.

Cela a eut pour but de le mettre plus en colère. 

"Ne me regarde pas comme si je pouvais tout savoir et comme si tout cela était de ma faute, Sorcière !" rugit-il soudain. 

"Ce que je sais c'est que tu m'as joué encore un de tes mauvais tours ! Tu as dû trouvé un moyen de te renvoyer dans le passé pour te libérer de ton esclavage présent.

Tu sais que si tu gagnes la partie cette fois, tu seras libre à jamais, tandis que moi je serai confiné encore dans la même forme de vampire humanisé et pour l'éternité !"

"Je ne te laisserais pas faire !" hurla-t'il soudain "Quand pensais-tu me redonner ta potion, Sorcière ! Quand !"

Et il continuait à m'invectiver sans relâche :

"Fourbe que tu es ! Tu n'as jamais pu supporter que je reste moi-même !

Et pire que tout, regarde ce que ta vengeance t'a fait faire de toi !" 

Je le voyais rager contre moi avec une telle violence que sa fureur me glaça.

Qu'avais-je fait de moi ?

Il me regardait les yeux plein de rancœur :

"Même là, tu es incapable de t'avouer vaincue et incapable d'honnêteté !"

Il pointa un doigt accusateur sur moi : 

"Puisque tu fais encore l'innocente, et que tu feins de tout ignorer, je vais te dire clairement ce qui t'attend, Emma-Jane. Si tu manges cette pomme empoisonnée, tu mettras définitivement un terme à ta vie et à ton futur, à cette Emma qui existe aujourd'hui, dans cette maison. Pfft. Plus rien. Ton fils ne tiendra jamais sans nourriture et sans soin, il est bien trop petit et qui viendra s’inquiéter de la disparition d'une vieille folle recluse !"

Il était de plus en plus agressif. 

"Je crois que pour ton salut, Sorcière, tu devrais mieux abandonner la partie." rugit-il avec force. "Où je te jure que moi aussi j'en termine avec cette affaire. Mieux vaut l'éternité à croupir dans ce cachot, plutôt que supporter de revivre une fois de plus cette ridicule peau de supercherie !"

La haine lui déformait le visage et je reculais pétrifiée par la peur.

Je réalisais qu'il avait détesté être Aydann Crosswood, peut-être même avait-il détesté tomber amoureux de moi et avoir un fils. Tout ce que nous avions vécu ensemble dans la grotte n'avait été qu'un rêve pour moi et un cauchemar pour lui !

Je m'accrochais à la paroi rocheuse incapable d'accuser le coup qu'il venait de me porter.

Et là, sans vraiment comprendre ce qui se passait Emma apparut devant nous dans un crépitement électrique protégée dans un halo de lumière. 

 

Je me sentais complètement perdue comme trahie par moi-même. Je regardais mon prétendu double, moi, j'avais plus de soixante-ans : j'avais l'air aigrie et malfaisante.

Emma semblait avoir tout entendu, elle ne se préoccupa pas de moi un seul instant, seul Aydann l'intéressait :

"Décidément, Vampire, tu ne changeras jamais ! Tu es pathétique ! Tu te plains de ton sort alors que tu ne t'es jamais soucié du mien ! Sais-tu au moins le nombre d'années où tu m'as forcée à te servir ! 606 ans exactement ! 606 années de servitude où jamais tu t'es préoccupé de moi !" 

Ils étaient tous les deux en colère comme jamais je ne les avais vus et ils se faisaient face près à s'écharper :

"606 ans ! Sorcière ! De servitude pour toi et 606 ans d'imposture pour moi ! Tu as conditionné chacun de mes gestes faisant de moi un vampire qui réfléchissait à chaque fois qu'il devait tuer pour manger, comme si toi, tu te souciais de pleurer sur son sort quand tu tuais une poule ! De quel droit m'as-tu privé de ma nature !"  

Il était en colère :

"Jamais je n'aurai pensé que tu pouvais être si mesquine, Emma ! Te renvoyer dans le passé, telle une sacrifiée ! Juste pour obtenir ta libération ! Avais-tu vraiment besoin de tout manigancé à ce point  !" 

"Je n'ai rien manigancé du tout..." balbutiait la vieille femme sans assurance. Mais à son hésitation, je comprenais qu'au contraire elle avait tout prévu du début jusqu'à la fin.

Pour être sûre que j'avais bien compris, le Vampire continua :

"Alors c'était çà ton plan ! Te sacrifier toi-même. Comment pouvais-tu être sûr que ta mièvre créature allait tomber amoureux de toi-même ?"

Emma baissait la tête, elle ne disait plus rien. J'étais horrifiée par ce que j'entendais de moi.

"Tu as parié sur ta propre naïveté ! La belle et la bête ! C'était imparable. Comme les Humains sont petits et ridicules ! Si je n'avais pas été infesté par ta potion, Sorcière, jamais je ne serais tombé dans ce panneau stupide !"

Il rugissait.

Sous le coup de ses paroles, mes jambes se mirent à trembler. Ma vie ressemblait à un château de cartes qui venaient de s'écrouler. Je ne me sentais flouée. J'avais été livrée en pâture à mon ennemi et par moi-même en plus. 

Mais il n'avait pas fini : 

"Bien-sûr, tu avais même prévu la fin. L'enfant devait être juste un accident certainement pour toi. Un détail, n'est-ce-pas ?"

J'étais livide.

"L'idée, c'était de refaire de moi ce que tu avais déjà fait mais en te déliant toi de ton esclavage ! De remettre la machine à zéro, de tout annuler. De refaire une Emma-Jane libre. Voilà pourquoi sept jours... C'est aussi le laps de temps qu'il me faut pour refaire de ton toi, mon esclave. Tout le reste, c'est de la foutaise !" 

Il menaça Emma :

"Que comptais-tu faire de Jane, Emma ? L'effacer comme si rien ne s'était passé. Quand comptais-tu la faire disparaître ?"

 

C'en était trop pour moi, j'étais à bout.

"Arrêtez ! Laissez-moi en paix !" hoquetais-je "J'ai vraiment hâte que tout ceci finisse, je n'en peux plus de vos histoires. En plus, j'ai l'impression d'être dans un cauchemar !"

Je retournais dans mon refuge m'éloignant d'eux.

Emma ne disait plus rien comme si elle avait été percée à jour.

Il fallait que j'en ai le cœur net, savoir si le vampire disait la vérité. Il était en sorte comme moi, la victime des malversations d'Emma. 

Je me sentais si éloignée d'elle, de cette femme acariâtre et rancunière. Je n'arrivais pas à me dire qu'elle et moi formions la même personne. 

Je fouillais le bureau. Je m'étais toujours demandé pourquoi tout était si bien préparé et semblait avoir été prévu à l'avance. Jusqu'où Emma voulait-elle m'emmener. 

Elle m'avait recommandé de ne pas brûler les étapes, pourquoi ? 

Je les entendais de la pièce d'à-côté, elle rageuse, et lui étonnamment colérique. Ils étaient encore entrain de se disputer et la violence de leurs mots me faisaient froid dans le dos, c'était comme si le vampire voulait attirer l'attention d'Emma : ils n'arrêtaient pas de l'apostropher en criant et en l'injuriant. 

Je feuilletais rapidement le livre de magie, je m'aperçus soudain que plusieurs pages avaient été arrachées et que plusieurs mots avaient été soulignés comme pour inciter la fabrication d'une nouvelle potion.

Je pouvais lire clairement de la main d'Emma :

"L'assemblage de ces éléments devraient constitués une excellente base pour calmer les ardeurs de n'importe quelle personne. Ajouter de la Mandragore et de la passiflore en poudre pour s'assurer d'un effet durable. Projeter sur la personne."

Je me hâtais de prendre un crayon et de griffonner l'intégralité des ingrédients qu'Emma avaient notés les uns après les autres. Je ne tardais pas à comprendre que l'association de certaines plantes entre elle ne suffirait pas à calmer les ardeurs de celui qui la boirait mais au contraire à changer carrément sa personnalité, réduisant les côtés malfaisants de la personne par l'ajout final de poudre de mandragore et de passiflore.

Je compris que c'était la potion dont le vampire parlait : celle qu'Emma avait déjà utilisée sur lui, il y a plus de six cent ans, et qu'il avait réduit de moitié ses côtés maléfiques.

Emma comptait que j'utilise ce breuvage sur le vampire ! Elle savait que je voudrais à tout prix l'éloigner de moi coûte que coûte, elle savait que j'utiliserais cette mixture pour me sauver de sa frénésie inextinguible. Elle avait juste omis de me le dire me manipulant outrageusement.

Mais après ? 

Je cherchais. D'autres pages arrachées.

Puis une annotation.

Une autre formule était suggérée avec une autre note.

"L'association de ses divers éléments assurent un total endormissement de la personne qui la boit pendant quatre heures assurées, lui offrant un état de bien-être au-delà de toute imagination sans aucun effet secondaire. Ajouter un mélange de feuilles de camomille et de cannelle. A projeter."

Idéal pour oublier les symptômes de la dépendance que le vampire avait sur moi. A six jours, les symptômes auraient été si violents que je n'aurais même pas à chercher à comprendre et que tout aurait été bon pour m'apporter un soulagement durable, cette médecine me serait apparue comme une aubaine : c'était évident.

Pour faire quoi ?

De nouvelles pages étaient arrachées à la fin du grimoire. Mais lesquelles ?

Puis soudain, je me crus capable de faire un sort de révélation. J'empoignais ma baguette magique et incantait. 

"Livre, Ô Grand Grimoire des Sorcières ! Révèles-moi les pages cachées !"

Aussitôt les pages arrachées réapparurent et reprirent leur place d'origine. 

Les premières pages concernaient la fameuse formule de transformation d'une créature démoniaque en une autre créature moins malfaisante et à la conscience plus exacerbée ainsi que la potion d'endormissement. Les secondes pages qui avaient soigneusement été enlevées par Emma parlaient d'un élixir de jeunesse, puis d'immortalité. Les troisièmes mentionnaient une formule de passage dans le temps pour les objets et les personnes. 

Tout semblait être clair maintenant. Emma avait tout planifié. J'entrevoyais clairement son plan.

Pour m'assurer que le vampire cesse de m'importuner, j'aurai créée la potion qu'elle m'avait suggérée pour le cinquième jour et sans le savoir je l'aurai retransformé en ce qu'il exécrait le plus d'être. Le sixième jour, le vampire transformé aurait redoublé d'intensité dans ces appels sachant qu'il n'avait plus qu'un jour pour emporter la victoire et j'aurai dû utiliser la potion d'endormissement sur moi.

Dans ce laps de temps, Emma serait réapparut à mes côtés. Elle aurait profité de mon état d’inconscience pour mettre en pratique son plan démoniaque : me faire disparaître en livrant aux oublis tout ce que j'étais et tout ce qui s'était passé, pour la libérer elle, de son esclavage passé. Ensuite, il aurait été simple pour elle de prendre un élixir de jeunesse puis une autre potion d'immortalité. 

Pouvais-je laisser mon moi futur annihiler ce que j'avais été ? Tout simplement pour assouvir une vengeance vieille de six cent ans ? Elle m'avait utilisé au même titre qu'Aydann, se moquant littéralement que j'avais pu en tomber amoureuse et que nous ayons eu un fils ensemble. 

Même si mon cœur se déchirait à l'idée qu'Aydann n'avait pas réellement voulu tout cela, j'étais incapable de penser que moi, je ne l'avais pas désiré. Ce serait renié Mon amour pour Aydann, et mon fils.

J'allais rétablir la vérité.

Je me mis donc à préparer quelques potions pendant qu'Emma et Aydann réglaient encore leurs comptes.

Lorsque j'eus terminé, je me ruais vers eux, cachant les fioles dans ma jupe.

Sans m'occuper d'Emma, je franchissais la barrière magique et passait du côté du vampire.

Emma était folle de rage mais je ne lui laissais pas le temps de réagir. 

Je brandissais ma baguette magique.

"C'est fini, Emma." dis-je d'un ton glacial et déterminé.

"Que les sorts d'avant soient annulés, qu'il n'y en ait plus qu'une seule." 

Emma me regardait avec terreur et incompréhension :

"Noooon ! Tu fais une grave erreur ! le Vampire te tuera ou il t'asservira comme il m'a asservie, malheureuse !" hurla-t'elle dans un nuage de lumières vives.

J'étais restée sourde aux avertissements d'Emma, incapable de la moindre compassion, froide et résolue comme jamais menant ma sentence jusqu'au bout.

Je regardais d'un œil noir la silhouette d'Emma qui se dissipait dans une gerbe d'éclairs électriques, satisfaite que tout prenne fin pour elle. 

J'avais sauvé ma peau et rien ne m'importait plus que cela. 

Je sentais la présence d'Aydann derrière moi, il m'entourait de toute sa présence maléfique. 

"Je n'avais rien contre la vieille Emma" soufflait t'il d'un ton badin "Mais bon débarras quand même. Une mégère de moins !"

Je me tournais vers lui, le regard encore résigné. Son regard était ardent et plein de satisfaction.

 Il se frotta les mains d'aise tout en me dévisageant avec un air différent.

"Voilà, ma nouvelle Sorcière, jeune, belle, vigoureuse." me dit-il soudain.

Tout son corps semblait fondre sur moi.

"Tu n'as plus qu'à Choisir, Sorcière. Je ferais de toi ce que tu voudras."

Mais je n'eus même pas la possibilité de répondre qu'il m'attrapait déjà les mains pour m'attirer à lui.

Il me pressa comme une marionnette et m'embrassa passionnément.

Je frémissais à son contact. Etrangement, il me saisit le visage dans ses mains.

"Je peux te faire devenir une succube" ronronna-t'il doucement à mon oreille. "Cela te ressemble assez, tu es à l'air d'être aussi démoniaque que moi. Il t'a fallu seulement deux secondes de réflexion pour faire disparaître ta vieille amie Emma ! Quelle tempérament !  Je suis sûre que tu t'amuserais à créer toi-même tes sbires et à me satisfaire."

Il me caressa le bas des reins d'une manière indécente.

Je le repoussais furieuse mettant toute ma force pour réussir à gagner un peu d'espace et, finalement m'écarter de lui. 

"Certainement pas, Vampire."

Il sourit de me voir essayer de lui échapper mais il saisit ma taille de nouveau et me serra me ramenant à lui :

"Ah... je sais... Tu veux ce que je t'ai promis : le Monde. Tu veux être ma compagne pour l'éternité, n'est-ce pas ?" susurra-t'il en mordillant mon cou. "C'est bien cela que tu veux, Jane. Dis-le moi."

Je me débattais cherchant à m'enfuir. Mais cette fois, il resserra son étreinte et me bloqua tout contre lui.

"Plutôt mourir que d'être un monstre comme toi !" dis-je avec difficulté.

Il sursauta sous la violence de mon insulte et je crus déceler une ombre dans ses yeux ardents.

"Tu ne devrais pas trop jouer avec moi, Jane. Il suffirait que je serre un peu plus mon étreinte et je pourrais écraser d'une seule pression ta cage thoracique. En quelques fractions de seconde, il en serait fini de toi."

Sa voix glissa comme un souffle sur moi, menaçant et pétrifiant.

"Depuis que je suis un vampire, je n'ai jamais eu besoin de personne, Jane. Les servantes sont remplaçables, j'en trouverais d'autres, le monde regorge de nourriture à foison. Et le Monde est à  ma portée, enfin.

Je crois que tu as fait une erreur par le passé. A cette époque, j'avais réellement envie de changer, j'aurai pu m’amender si tu me l'avais demandé.

Mais c'est trop tard, j'ai passé trop de temps à regretter ma nature et je compte bien me rattraper avec ou sans toi."

Je frissonnais de constater à quel point il était froidement détaché. 

"La donne a changée Ma Chérie et grâce à toi. Tu aurais dû t'écouter. Emma t'avait prévenue. Mais tu n'en fais toujours qu'à ta tête. Tu n'as donc plus aucun autre choix sauf te soumettre aux miens. N'oublies pas qu'il y a un bébé seul là-haut et plus les heures passent plus il risque de mourir."

Ses mots me paralysèrent d'effroi. Mon bébé, notre bébé. Comment pouvait-il en parlé ainsi sans éprouver la moindre compassion. Mon cœur se gonfla de haine pour lui, je trouvais la force de me reculer pour le défier. 

"Je n'en ai pas fini avec toi, Vampire. Ne pense pas avoir gagné. Tu remportes peut-être une bataille aujourd'hui, mais la guerre n'est pas finie : il me reste toujours trois jours. Je trouverais une solution, Dieu m'en est témoin !"

Il éclata d'un rire sinistre qui me glaça le sang.

"DIEU !" rugit-il "Si il existait je serais le premier à le savoir. Ne compte pas trop sur lui pour te sauver, Jane. Il n'a jamais rien fait pour m'arrêter en tout cas. Et, il ne fera rien pour toi soit en sûre."

Il se campa devant moi avec ironie.

"Viens ici maintenant" me dit-il en m'empoignant la taille. "Tu oublies que tu n'es pas en position de décider quoi que ce soit."

Il écrasa sa bouche contre la mienne me blessant intentionnellement avec ces dents.

"Tu es à moi, Sorcière." 

Je n'eus même pas le temps de réagir qu'il enfonça ses crocs dans mon cou.

J'eus un rictus de douleur qui fit briller encore plus ses yeux.

Je fronçais les sourcils, peut-être qu'Emma avait raison en fin de compte, je n'aurai pas dû négocier avec le diable.

Il avait l'air de se régaler plus que jamais de mon sang comme si c'était la première fois, et il me le fit savoir avec un air désagréablement vainqueur. 

"Je ne t'ai jamais trouvé aussi délectable, Jane. Cela doit être à cause de ce que tu as fait. Malgré toi, tu as changé le cours du temps en fin de compte."

Je vacillais à cause de la force qu'il avait mis à fondre sur moi et de sa façon brutale de m'aspirer le sang. Il n'y avait plus de prévenance, il se nourrissait simplement. 

Il dût me retenir comme à l'accoutumée car mes jambes ne me portaient plus.

"Alors" me dit-il en relevant la tête, les lèvres et le menton rougis. "T'es-tu enfin décidée, Sorcière ?"

Malgré la fatigue qui m'assaillait, je relevais la tête fièrement pour le braver : 

"Tu ne m'impressionnes pas, Vampire ! Si une potion a pu te faire tenir 600 ans tranquille, je ne perds pas espoir pour remporter la partie."

"Il suffit, Sorcière !" tonna-t'il avec force en me repoussant avec violence me propulsant à terre, animé par la rage. 

Il comprit trop tard qu'il avait fait une erreur car sa colère m'avait fait atterrir à un pas à peine de mon refuge. Je n'attendis pas une seconde de plus.

Je glissais vers l'arrière pour me mettre à l'abri tandis qu'il fulminait de rage. Furieux de m'avoir laisser m'échapper, il se rua à ma poursuite oubliant la barrière magique dressée par Emma et se heurta de plein fouet sur elle. 

Ce contact l'envoya à terre et le repoussa au fond de la pièce sans ménagement le laissant assommer quelques secondes.

Je me relevais difficilement, meurtrie de tous côtés, j'avais mal au bas des reins à cause de la chute. 

Autour de moi, rien n'avait réellement bouger, tout était bien à sa place. Le grimoire magique trônait sur la table d'alchimie toujours entourés de son gros chaudron, de bougies à moitié allumées et de livres anciens. Le bureau d'Emma, poussé contre le mur, était toujours encombrés des derniers recueils que j'avais lus.

Mes yeux furent néanmoins attirés par une lettre pliée en quatre, bien en vue sur le sous-main qui n'avaient jamais été là avant.

Tremblante, je saisissais la lettre.  

Des larmes avaient fait gondoler le papier par endroit, et l'écriture semblait hachée et tremblante. Mon cœur se serra comme si je savais déjà son contenu.

Je m'asseyais le cœur serré et la respiration coupée.

"Je prie le ciel pour que, lorsque tu liras cette lettre, il ne soit  pas trop tard. Notre bébé est mort, Jane. Les trois jours d'attente ont été trop long et il n'a pas survécu. Je n'ai jamais autant souffert que lorsque je l'ai trouvé là-haut dans son petit lit sans vie. Tu disposes encore de tous les moyens pour changer les événements. Si tu lis cette lettre c'est que mon sort a fonctionné : j'ai utilisé le sort passage dans le temps pour la lettre que je viens de t'envoyer. Il faut absolument que tu trouves un moyen pour me contacter pour t'assurer qu'après l'accouchement, tu puisses confier le bébé à quelqu'un afin qu'il ne reste pas seul dans la maison.

Je voudrais te dire que tu as réussi, Jane mais non. Tu n'as pas gagné contre le Vampire. Ta rancœur et ta hargne contre lui t'a desservie à chaque moment. Je te prie de considérer encore et encore la situation et t'en tirer les conséquences immédiates sans quoi, rien n'adviendra de bon de tes choix. 

Je te souhaite du courage, de la volonté et de la persévérance pour réussir. Jane. Tu es la seule capable de changer ton destin."

Je n'en croyais pas mes yeux. Une lettre de moi-même écrite peut-être à quelques heures seulement d'intervalle. Émue encore par la nouvelle qui touchait mon bébé, je restais abasourdie tandis que le vampire tempêtait de son côté. 

Je devais réfléchir comment prévenir quelqu'un pour que ce drame n'arrive pas. Je consultais le grimoire et tournais les pages une à une. Emma m'avait donné la recommandation de ne pas brûler les étapes. Devais-je lui faire confiance ? Si je continuais à apprendre la magie et les incantations dans l'ordre, je savais que je ne disposerais pas assez de temps pour réussir le sort de passage dans le temps. Je n'avais pas le choix, je devais sauver mon fils coûte que coûte et je me moquais si j'allais modifier ou non l'énergie naturelle de la magie. 

Je rassemblais les ingrédients tout en réfléchissant à la date à laquelle je pourrais envoyer la lettre sans qu'Emma ne la trouve avant moi. Les seules personnes sur lesquels je pouvais compter et qui pourrait venir à la maison prendre mon fils, étaient mes collègues de travail. Mais comment leur transmettre une lettre ? Emma avait souvent posté du courrier pour moi en allant en ville : des dossiers scientifiques sur lesquels je devais travailler. Je pouvais peut-être faire un faux dossier, glisser ma lettre dedans et tenter un sort de passage dans le temps pour la faire apparaître sur l'une des tables de la maison afin qu'elle soit envoyée par la suite. Cela devrait passer inaperçu. Il fallait essayer !

Pleine d'espoir je me mettais en quatre pour réaliser la potion, écrire la lettre et ensuite lancer le sort sur celle-ci. J'avais le cœur battant, c'était la seule chance pour sauver mon bébé, mais cela marcherait-il ? J'avais bien peur que je devrais attendre le dénouement de ces sept jours enfermés dans la cave d'Emma pour en avoir le cœur net.

La lettre que j'avais glissée dans un dossier aux noms de deux de mes collègues s'évapora dans un éclair de fumée bleue rejoignant les couloirs du temps.

Puis je réalisais une potion d'endormissement à la camomille afin de pouvoir m'endormir tranquillement et ne plus supporter les douleurs infernales du manque qui se faisait sentir atrocement depuis la seconde saignée du vampire. Je doublais les doses pour dormir huit heures au lieu de quatre.

Cette fois plus que tout, il fallait résister le plus longtemps possible à ses appels jusqu'aux prochaines heures de minuit.

C'était la seconde fois qu'il avait réussi à boire mon sang en deux journées, la première fois mon corps avait subi des changements, quand serait-il de la seconde ?

Anxieuse, je jetais la fiole au sol.

Les dés étaient lancés de toutes les façons, je ne pouvais plus rien. 

La tension se fit sentir avec plus de poids me saisissant la poitrine ralentissant mon souffle, je me sentais fébrile et souffrante. L'idée de perdre mon fils m'enlevait toute volonté. Je repensais à la lettre. Je ne réussirai pas. Pourquoi ? Qu'avais-je voulu me dire ? 

Je me couchais sans me préoccuper d'Aydann Crosswood. Je ne lui avais jamais demandé si c'était bien ses nom et prénom, ni quel âge exact il avait. Il suivait chacun de mes gestes avec un large sourire et un air ironique.

"Dors-bien, Jane. Je serai ravi de te retrouver à minuit, Ma Belle Sorcière. Que tes rêves soient les plus doux et les plus instructifs possibles."

Mais je ne m'occupais pas de sa voix, même si elle était étrangement douce et caressante, mystérieuse et envoûtante.

Je n'avais qu'une envie, en finir avec cette journée.

La potion commençait à faire son effet. Elle anéantissait chacune de mes douleurs les repoussant au-delà de ma conscience me procurant un répit jouissif.

Je m'endormis en quelques secondes. 

                                                                                                                                                               A SUIVRE 

Comments

[janesteward]

Tes encouragements me vont toujours droit au cœur, merci. Bonne année 2014. ♥

[Chaton]

Je suis toujours autant accrocher à cette histoire ! J'espère que ça continuera jusqu'au bout , merci pour le temps que tu y passe ♥