Journal de Jane Steward - Partie 13 -

Je courais sans m'arrêter, fonçant droit devant moi, qu'importe où j'irai, plus rien n'avait d'importance. 

Je ne sentais ni la pluie ruisseler sur mon corps, ni les courbatures qui étaient pourtant présentes et qui m'épuisaient à petit feu.

Je ne pensais qu'à mettre un pas devant l'autre et à m'enfuir très loin, le plus loin possible, au bout du monde si il le fallait... Dussais-je m'écrouler de fatigue...

Une nouvelle fois, mon esprit était totalement incapable de discernement et j'étais dominée par la passion de mes sentiments qui m'enflammait dangereusement.

J'étais incapable de comprendre pourquoi mais une douleur vive me transperçait la poitrine me brisant tout entière.

Le fait de ne pas pouvoir maîtriser l'origine de ce mal me rendait folle et, courir, semblait être pour moi, l'unique solution.

Sans me préoccuper des flaques d'eaux, je courais totalement inconsciente, m'éloignant du Palais, et dans la direction opposée à ma maison.  

Glacée jusqu'aux os, je ne m'aperçus même pas que je venais de traverser à toute allure, la quatre-voies qui remontait au centre-ville. 

Au loin, je voyais luire l'eau de notre chère rivière dont l'onde clapotait légèrement à la brise du soir. C'était là que je finirais, pensais-je soudainement, c'était là que je devais aller mourir, pour faire cesser cette douleur qui me serrait la poitrine jusqu'au ventre...

"JANE !" entendis-je soudain dans mon esprit torturé par la peine.

"JANE ! Au nom du ciel, Arrêtez-vous !!!" 

"JANE !!"

"JA-NE !!!"

"JANE !!! Au nom du ciel, ne faites pas cela..."

"JANE, MON AMOUR !!! NON !!!"

"Je suis là, Jane, tout va bien... Venez près de moi, éloignons-nous de cette rive..."

"Jane, je vais tout vous expliquer..."

Je sentis ses bras m'entourer avec force et son étreinte et ses mots eurent l'effet de me retenir : je ne sautas pas.

Je fermais juste les yeux, heureuse que la douleur qui me vrillait le coeur s'apaise : il était là.

Etrangement, je m'éveillais de cette affolante torpeur.

Aydann Crosswood était maintenant face à moi, le visage sombre et baissé. Il avait lâché ma taille et se tenait entre la rive et moi.

Que faisais-je donc là au milieu de nulle part ?

Je reconnaissais les bords de notre belle rivière où j'aimais aller pêcher. Pourquoi étais-je trempée ? Pourquoi mes chaussures étaient si boueuses comme si j'avais couru sans y faire attention... Pourquoi Aydann était-il là, le lieutenant Shee Lah ne l'avait-elle pas arrêté ?

Comme il avait l'habitude de le faire, il répondit à ma question muette d'une voix extrêmement paisible.

"Shee-lah m'a donné un peu de temps, Jane. Pour que nous voyions vous et moi ce qui vous arrive... Je... "

"Ce qui m'arrive ? Mais que m'arriverait-il donc ?" bégayais-je encore étourdie par ma course éffrénée.

"Vous êtes enceinte..." me dit-il abruptement.

J'étais tétanisée par ce qu'il venait de me dire.

Incapable de répliquer, il continua d'une voix sans timbre :

"C'est pour cela que vos émotions sont exacerbées... et que vous n'arrivez pas à les tempérer... Je l'ai juste compris tout à l'heure quand vous vous êtes enfuie sans raison... et que vous êtiez prête à..."

"Jane, j'ai une confession à vous faire... J'ai été votre amant toutes ses dernières nuits..."

"Quoi ! Mais qu'est-ce que vous me racontez ! C'est une histoire de fou ! D'abord, vous me sautez au cou et vous me vampirisez jusqu'à me tuer et maintenant, vous m'annoncez que nous avons couché ensemble et que je suis enceinte !"  

"Jane... votre état vous empêche de prendre ce que je vous dis d'une manière mesurée, je vous en conjure, écoutez-moi simplement..."

L'agitation me gagna soudain, je m'écartais de lui brusquement, j'étais soudain comme de nouveau dans cet autre monde en proie à mes démons. Je fis un pas vers la rive, le regard fixe, de nouveau résolue à m'y jeter.

"C'est un cauchemar, je vais me réveiller... il faut que je me réveille..." psamoldiais-je nerveusement. L'eau noire m'appelait de son étreinte et je n'arrivais pas à détacher mes yeux de ses clapotis. Aydann ne bougea pas comme si il savait qu'un seul pas vers moi me précipiterait dans l'eau sombre.

"Jane... la dernière fois que vous m'avez quittée lors de votre dernière viste à Crosswood Manor, vous m'avez rendu fou de rage en niant être attirée par moi, vous vous en souvenez, n'est-ce-pas ?"

"j'ai perdu la raison quand vous êtes partie ainsi en me dédaignant. J'ai juré alors de me venger de vous... Ainsi toutes les nuits, je suis venu vous tenter et vous prouver que vous et moi ce n'était pas qu'un jeu illusoire... Je voulais vous punir de m'avoir repoussé le jour... alors que le soir... "

"Jane, vous m'avez aimé toute ses nuits sans vous soucier de qui j'étais et vous avez été la plus passionnée des femmes... "

Il se rapprocha de moi et chercha à croiser mon regard vide.

"Jane... Vous avez capturé mon coeur de pierre moi qui croyait être incapable d'aimer et le piège que je vous ai tendu, c'est refermé sur moi, car toutes ses nuits, je vous ai aimé comme un fou..."

"Jane... Je vais vous aider à retrouver la mémoire... Regardez-moi..."

Je me dressais devant lui comme un fantôme l'écoutant comme si je ne m'appartenais plus. Sa voix m'hypnotisait maintenant et m'appelait au calme et à la sérénité.  

"Jane... je sais que lorsque je vais libérer vos souvenirs vous allez me rejeter et vous aurez bien raison...  mais j'ai tellement peur de cela... peur de vous perdre... Je vous en prie, Mon Amour, venez à moi pour une dernière fois... Que je me nourrisse encore de vos baisers fougueux... quand votre passion vous enflamme et que votre raison me céde..."

"Je sais que je n'ai pas été digne de votre amour, que je vous ai trahi en abusant de mes pouvoirs... mais je suis le premier puni..."

"Il vous manque la compréhension de ce qui vous arrive parce que je vous l'ai volée... C'est pour cela que vous êtes incapable de gérer vos sentiments..."

"Vous vous battez en sorte contre vous-même. Contre cette Jane que vous avez été la nuit, et celle que vous êtes le jour. L'une m'a aimé avec tendresse et passion tandis que l'autre me hait... Passion contre raison..." 

Il  soupira à fendre l'âme :

"Plus que quelques secondes, et ensuite je ne serais pour vous plus qu'une "bête sanguinaire", un "monstre"... Oh, Jane... Je souffre déjà tant de vous entendre me dire ces mots violents qui vont meurtrir mon coeur à tout jamais..."

"Mais je sais que si je vous laisse ainsi à la merci de mon emprise, vous risqueriez de vous perdre dans les méandres de la folie..."

"Cette transformation qui s'effectue en vous à cause de l'enfant que vous portez exacerbe vos sentiments... Je l'ai compris quand vous avez perdu la raison alors que je n'ai jamais tenté de vous tuer et encore maintenant au bord de cette rive..."

"O Dieu ! Qu'ais-je fait...  Si il vous arrivait quoique ce soit par ma faute, je crois que je ne me le pardonnerai jamais..."

"Donnez-moi vos mains, Jane, je vais vous emmener en lieu sûr. Chez moi, à Crosswood Manor..." 

 "Là... Nous y sommes, Jane..."

"N'ayez pas peur, vous êtes en sécurité avec moi..." 

"Ma douce Jane, Mon doux Amour..." 

"Toutes les bonnes choses ont une fin... si vous saviez combien je le regrette... j'aurai tant voulu que cela ne se passe pas ainsi.... mais vous êtes si têtue parfois..."

Il posa un baiser sur mes lèvres pour que je ne réplique pas mais j'étais étrangement muette. Mon seul port et ma seule raison d'être... c'était le rivage de ses yeux et je m'y accrochais comme un bâteau à la dérive pris dans la tourmente et, il n'y avait que lui qui comptait.  

J'entendis comme au loin les notes d'une musique classique sur laquelle il me proposa de danser avec lui. Je me laissais emporter par les accents mélancoliques de cette valse triste oubliant tout attachement à la réalité.

Lentement, nous glissions sur le plancher, l'un contre l'autre. J'aimais cette sensation étrange d'être soulevée dans ses bras tandis que nous valsions.

Sa force me rendait capable de supporter la douleur que m'infligeait la passionnée Jane me repoussant loin très loin, moi, la raisonnable. Et c'était si réconfortant de lâcher-prise contre moi-même...

Quand il me souleva dans ses bras, mon coeur ne résista pas, j'avais besoin de plus pour calmer les ardeurs naissantes et violentes qui commençaient à m'enflammer le corps à son contact. Il le sentait et je savais qu'il me donnerait exactement ce que je réclamais.

Nous nous unîmes dans un long baiser ou enveloppée de ses bras, je me remis entiérement à lui. De la salle à manger, nous passâmes à la chambre : il avait dû nous y téléporter, mais peu importe... je n'avais plus conscience de rien.

"Je vais m'occuper de toi, Jane, te déshabiller, te sécher... je vais t'aimer tendrement, toute la nuit, encore et encore.." Sa voix était sans timbre, résolue, sincère, et cela me suffisait. Il n'était plus question de doute : j'avais tant manqué de confiance en lui.

"Ce sera pour la dernière fois... car demain matin tout sera fini... Tu seras libre de mon emprise... Je t'en fait la promesse..."

Mon regard était sans équivoque, le sien était sulfureux et ardent. Les heures qui suivirent furent les plus passionnées de toutes nos nuits comme si nos âmes savaient que c'était pour la dernière fois.

Au matin, il me serra dans ses bras comme pour me donner du courage et un peu de la force qu'il lui restait : nous n'avions pas dormi et la fatigue se faisait sentir pour lui comme pour moi. Nous nous étions transis et tremblants.

"Jane" murmura-t'il d'un ton grave "Je..."

Il resta muet, incapable de dire un mot de plus. Il me repoussa juste fermement. Je vacillais incapable de tenir debout. 

Ses yeux flamboyants se fixèrent sur moi, en silence, m'accrochant comme si j'étais tenue par un fil, il semblait détailler les traits de mon visage un par un comme pour s'en souvenir. 

Puis il leva les mains pour me prendre le visage entourant mes joues comme une dernière caresse. J'étais à sa merci, entiérement remise à lui.

Ses yeux prirent un aspect hypnotique et sa volonté accrocha la mienne. J'avais l'impression qu'il rendait à mon esprit tout ce qu'il lui avait manqué et que tout reprenait fidélement sa place d'une manière bien ordonnée mais sans émotions : Ma sortie de chez lui quand j'avais été à Crosswood Manor, notre première nuit quand il m'avait appelé à le rejoindre, la seconde chez moi, puis son arrestation, ma tentative de suicide, le bébé... jusqu'à maintenant.

Il semblait concentrer tous ses efforts pour conditionner mon esprit à tout se rappeler sans que je ne puisse encore émettre la moindre contestation. 

J'étais comme anesthésiée, incapable d'avoir une pensée réactive sur ce qui s'était déroulé : pas d'avis ni positif, ni négatif.

"Jane..."

Enfin sa voix percuta mon esprit me donnant l'ordre de me réveiller.

"Prend cet élixir derrière toi...  Fais-vite..."

Je ne réagissais pas : j'avais comme envie de rester sa Jane, sa chose pour l'éternité. 

"Jane, tout est fini. C'est toi qui avait raison... Je te veux à moi de ton plein gré pas comme cela... j'aime ta passion... mais pas ton asservissement... Bois, Jane... Et pardonnes moi de ma lâcheté... J'ai choisi la solution la plus facile..."

Je n'avais aucune idée sur ce qu'il entendait par "j'ai choisi la solution la plus facile" et je m'en moquais, je l'attirais à moi pour l'embrasser une dernière fois fougueusement.

Quand je me dégageais à mon tour, il m'attira de nouveau à lui pour me rendre la passion de mon baiser et il murmura quelque chose que je ne compris pas...

Enfin, il me laissa rejoindre la table de chevet sur lequel l'élixir était posé. 

Je saisis la fiole luminescente et entreprit de la boire d'un seul coup.

Cette fois, je sentis son regard incandescent couler le long de mon dos et mon sang ne fit qu'un tour : que faisais-je ici dans la chambre d'Aydann Crosswood et en petite tenue ! 

Le film de mes souvenirs repassa rapidement dans ma tête mais cette fois, la colère me gagna : comment avait-il pu me faire subir cela ?  

Je le haissais, le maudissait de toute mon âme, de tout mon corps. Comment avait-il osé me contrôler ainsi ! Je n'avais qu'une envie le faire payer pour toutes ses nuits inconscientes et pour l'enfant qu'il m'avait fait... Dieu que j'avais envie de le frapper et de me débarasser de cette chose qu'il avait mise en moi !

Je sentais sa présence silencieuse derrière moi mais il ne bougeait pas, stoïque. 

Alors que je voulais tenter de me retourner vers lui, de lui faire face, de lui dire tout haut ce que je pensais de lui et de l'enfant qu'il m'avait fait, mes jambes se mirent à flageoler.

"Qui y a-t'il, Jane quelque chose ne va pas ?" l'entendis-je me dire.

Je retins difficilement une nausée : Que m'avait-il fait boire !

"J'ai choisi la solution la plus facile" me répétais-je soudain. Que voulait dire Aydann ? 

Je me sentais de plus en plus défaillir : allais-je mourir ?

Je renonçais.

Après tout, c'était peut-être la solution... Mourir.

Ne plus le voir et ne pas avoir cet enfant du diable...

J'entrevoyais ma fin. Cet élixir me rendait étrange, je glissais comme dans un trou noir. Irrémédiablement hapée dans les ténébres...

La fin ?

Je m'écroulais au sol.

"O Jane... Comme j'ai tant craint ces moments où vous reprendriez conscience... Où vos mots déchireraient mon coeur de leur rudesse... Ou vous me hairiez à tout jamais... Mon Amour..."

A SUIVRE