JOURNAL DE JANE STEWARD (8)

Je me sentais les nerfs à vif à cause de cette étrange et inexplicable sensation qui me serrait le ventre. Passant outre, je me déshabillais rapidement, après un passage éclair à la salle de bain, puis je me glissais au lit. Mais l'exitation ne partait pas.

Avais-je vraiment entendue la voix de Crosswood dans ma tête tout à l'heure ? Ou avais-je rêvé ? Et pour quelle raison Aydann Crosswood cherchait-il à m'intimider et à me tenir à l'écart de ses affaires ? N'avais-je pas tout imaginé ? Sa présence ? La sensation qu'il était derrière moi ? Ses lèvres froides dans mon cou... Je tremblais de peur à l'idée que durant quelques secondes, mon corps s'était de nouveau abandonné tout à lui. De quel étrange pouvoir disposait-il donc sur moi qui aurait pu anéantir toute mes tentatives de lui résister ? Et par quelle magie avait-il pu être là - tout à mes côtés - pour disparaître l'instant d'après ? C'était impossible surtout pour un esprit aussi rationnel que le mien mais tellement envoûtant ! Maintenant... il me restait au creux du ventre ce désir qu'il avait allumé en moi comme un brasier qui ne cessait de se raviver à mesure que je pensais à lui.

Les questions se bousculaient dans ma tête dans un flot incessant. Il m'apparaissait clairement que le manque de petit ami venait à se faire cruellement sentir... c'était dépitant ! Pauvre de moi si je commençais à m'imaginer prendre mon pied avec une soi-disante apparition d'Aydann dans le jardin !

Il était temps que je fasse quelque chose !

Un coup d'oeil sur ma table de chevet me rappela que je n'avais pas fini de lire le livre sur les créatures fantastiques... surtout le passage sur les vampires... Demain peut-être... J'étais trop fatiguée... Epuisée... comme si mon énergie avait été puissée d'un coup... Non... cela ne pouvait pas être vrai... mon esprit se refusait à la croire... j'avais dû rêvé... Aydann ne pouvait pas être là ce soir... pas dans le jardin...

J'avais dû tout imaginer... même cette aura étrange qui m'avait environnée à ce moment là... tout jusqu'à ce bien-être qui m'avait envahie lorsque j'avais cru sentir sa présence derrière moi... tout... jusqu'à ce picotement léger au creux de mes reins... peut-être sa main sur mes hanches... jusqu'à ce que mon esprit s'innonde de plaisir et que ma peur disparaisse... "Aydann... Aydann, répétais-je mentalement. Etait-ce possible ?"

Je sombrais presque immédiatement dans un étrange sommeil, lourd et agité... Je savais que je n'y aurai aucune réponse, pas un signe, pas un mot, pas un souffle... tant mieux, j'oublierais ma frustration en terrant mes questions dans les affres du rêve.

Aydann... semblait dire mon esprit sans cesse comme si il espérait de nouveau trouver un écho : Aydann... Aydann... Suppliante et attristée de rester sur ma fin...

"Petite imprudente..."

Sa voix me fit frisonner.

Je regardais autour de moi. Il me semblait que nous étions chez lui. Il tisonnait le feu de l'une de ses grandes cheminées dans la salle principale de son château. Il m'apparut encore plus séduisant que la dernière fois.

"Décidément, Jane." me dit-il sans me regarder. "Vous ne savez pas ce que vous faîtes..."

Sa voix était extrêmement basse comme plaintive.

"Mais vous n'avez peur de rien, n'est-ce-pas ? Même pas de moi..."

Il s'était silencieusement approché et me faisait face maintenant.

Ses yeux de braise accrochaient mon regard sans que je puisse me reculer. Je me laissais aller immédiatement à la douceur de son regard, incapable de résister à sa présence... Le rêve pouvait-il être responsable de cet incroyable abandon ?

"C'est bien ce que vous voulez le plus.... Jane Steward... Brûler vos ailes de papillon fragile à ma flamme impitoyable ?"

Je tremblais d'entendre son murmure doucereux au creux de mon oreille.

Mais il savait parfaitement qu'il avait raison. C'était ce que j'étais venu chercher ce soir : Sa présence et la promesse des baisers dont il m'avait laissé entrevoir la déraison.

"Qu'il en soit ainsi..."

"Mais à vos risques et périls..."

Je ne comprenais pas pourquoi, je ne semblais pas attacher la moindre importance à ce qu'il me disait... ni aux mises en garde qu'il m'adressait... je me sentais comme si je n'étais qu'une présence évanescente prés de lui... comme dans un rêve... Mon esprit se rattachant à cette réalité... Je m'obstinais aussi à ne pas croire en ses menaces, sûre qu'il m'épargnerait comme il l'avait déjà fait... Non. il ne pouvait pas être une de ses créatures fantastiques dont parlait le livre... sans foi si loi. Même si il en avait certaines caractéristiques... 

Etrangement, je me retrouvais de nouveau à distance de lui, comme si il le souhaitait.

"Installez-vous à table, Ma Chère. Je vous ai fait préparer ce que vous préférez : le faux-filet, je crois, et bleu de préférence... C'est bien cela... n'est-ce pas ? Vous verrez que la chair de cette viande est délicate et fondante... Comme vous pouvez certainement l'être Chère Jane... Venez, approchez-vous... "

Ses mots devaient avoir un double sens, bien sûr, mais protégée par le rêve, je ne souhaitais pas y accorder de l'importance, tout au bien-être que je ressentais à ses côtés.

Je n'avais commis que l'imprudence de m'endormir et de penser à lui. Cela pouvait-il me porter préjudice ? Pas dans un rêve. J'en étais convaincue.

Et je faisais la sourde oreille à toutes ses mises en gade : encore et encore.

Tout m'apparaissait comme disproportionné, étrange.

Sauf lui. Elégant, sophistiqué et d'un étonnant savoir-vivre.

"Pourquoi en serait-il autrement ?" m'assurait-il d'une voix monotone en répondant toujours à mes questions muettes. "Même si je suis différent. Je puis vous assurer que je suis un homme tout à fait comme les autres..." "

"Avez-vous peur de moi, Jane Steward ?"

Je frisonnais d'être la seconde d'après, encore debout, à proximité de lui, tout au coeur de la salle principale tandis que le feu de la cheminée nous réchauffait.

La table semblait avoir été déjà desservie, et Maritza, sa domestique, avait disparue. J'étais seule avec lui... je me régalais encore de l'excellence du repas qu'il m'avait fait servir. Un met divin. Mais avions-nous déjà mangés ? Si vite ?

Je me retrouvais attirée à lui comme par magie. Le temps ne semblait pas avoir de prise ni sur moi ni sur lui.

"Peur ?" Je n'arrivais même pas à avoir peur de lui...

"Vous savez que je ne veux que votre bien... C'est tout, Jane Steward, vous êtes une femme très intelligente..." me murmura-t'il doucement à l'oreille.

Sa voix était douce, suave et enjôleuse. Il avait inconsidérablement beaucoup de charme malgré son étrange pâleur et ses yeux rubis. C'était instinctif, insconcient, je me sentais tout attirée à lui sans même que je n'y puisse rien...

Je me surprenais aussi, vouloir céder à tout : comme cette étrange envie de lui caresser la joue. Peut-être pour chercher ce contact surprenant que j'avais cru déjà ressentir tout à l'heure : sa froideur extrême comme si il n'était plus de ce monde... Etait-ce le cas ?

Mes yeux cherchèrent ses yeux et il n'échappa pas cette fois à mon regard. Un frisson parcourut mon échine quand ses yeux animal s'attachèrent aux miens dans un air de défi. Pouvait-il entendre toutes mes pensées ?

Incapable de résister à l'attirance que j'avais pour lui, je me laissai aller à son étreinte, jusqu'à ce que je sente mes lèvres sur les siennes.

Comme si j'étais la première à avoir voulu l'embrasser. Comme si tout mon moi allait vers lui et lui montrait mon attirance. Il souriait juste me laissant faire. J'osai alors le baiser divin qui me transporta aux portes même du paradis...

"Vous ignorez vraiment tout sur moi, n'est-ce pas, Jane ? Sinon vous ne risqueriez pas votre vie comme cela..."

Je ne savais pas de quoi il voulait parler, et j'en avais presque rien à faire. Je voulais juste que lui et moi continuons à nous embrasser.

Encore et encore.

Nous nous retrouvions maintenant dans sa salle de peinture : magnifiques expositions de toiles de toute nature, sur son sofa rouge.

J'étais transportée par les baisers qu'il me rendait maintenant et plus rien ne comptait sinon ses lèvres sur les miennes, et nos corps enlacés.

Cependant même si je sentais qu'il répondait à mon étreinte et mes baisers : il m'apparaissait distant, comme troublé.

Préoccupé par autre chose... Incapable de se laisser aller à l'émotion qui nous gagnait. Ou fermement résolu à ne pas y céder...

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Il me repoussa fermement, me tenant à l'écart, me laissant indécise et attristée. Incapable de comprendre ce qui se passait.

"C'est si simple pourtant à comprendre, Jane Steward... Si simple... aussi simple que vous êtes déjà à ma merci... et vous ne le voyez même pas... naïve enfant... Prête à tout me céder... si vite, et déjà... mais si résolument habituel..."

Sa voix avait un timbre caustique et désagréable. Je fronçais les sourcils comprenant qu'il n'avait en rien ressenti les mêmes choses que moi mais je me refusais à croire qu'il pouvait être si froid et si dénué de sentiment à mon égard. Pas après nos baisers fougueux.

Il eut un petit rire étrange comme si il avait entendu encore ce que je me disais.

"Prétentieuse Jane Steward..." me disait-il d'une voix glacée. "Prétentieuse petite colombe..."

"Je viens de m'apercevoir que vous ignorez tout de moi, Jane... Qui je suis.... qui je peux être... Moi qui pensait que je devais vous craindre... Que vous jouiez un jeu dangereux avec moi... mais vous n'êtes finalement qu'un petit moineau sans défense. C'est si dommage pour vous, ma Pauvre enfant..."

"Si dommage..."

"J'ai joué à vos jeux de petite fille gâtée, Jane Steward, et..." soupira-t'il lascivement "cela m'ennuie assez à vrai dire.. tout cela manque de piquant..."

Il s'approcha dangereusement de moi et je compris que j'étais belle et bien, à son entière merci, incapable de lui résister car trop alanguie par sa présence... Le pire était que cette fois, je n'y étais pour rien !

Il parut rire de nouveau.

"Je regretterai seulement de ne pas vous sentir avoir peur comme les autres, Jane... Vous m'enlevez mon seul plaisir, vilaine enfant..." entendis-je soupirer au creux de mon oreille. 

"Mais vous allez comprendre que je ne suis finalement qu'un prédateur..."

"Implacable et résolu... Passionnément déterminé... A part me délecter de votre sang et de m'étourdir de votre peur, rien ne m'intéresse..."

Je sentis son souffle glacé caresser mon cou et un frisson de terreur me parcourut. Il continuait d'une voix lancinante et enjôleuse :

"Mais je vous l'ai dit, Jane. Je n'ai qu'une parole : réaliser et satisfaire vos désirs... vos désirs de mortels... n'est-ce pas pour cela que vous m'avez appelé ?"

J'arrivais - malgré les liens étranges qui nous liaient l'un à l'autre - à le repousser.

Je lui répétais ses derniers mots qui m'apparurent encore à double sens : mes désirs de mortels ?

Que voulait-il dire par là ?

"Mes désirs de mortels..." Quelle idiote ! J'avais été. La raison me frappa au visage comme une froide gifle.

Je devais absolument me réveiller ! Sortir de ce cauchemar où je réalisais que j'étais prise au piège.

Nous nous retrouvions maintenant dans la même pièce que tout à l'heure. Il était en peignoir.

Cette fois, il se pressait, implacable, contre moi.

Résolument, passionnément... 

Déterminé à... ?

Retrouvant mes forces et mes esprits, je me forçais à m'écarter de lui et à le chasser loin de mes bras.

Il sembla s'en moquer car j'entendais son rire sarcastique envahir mon esprit matraquant ma tête.

Je chancelais comme si il voulait me punir d'avoir rompu le lien avec lui. 

"Inutile de me fuir, Jane. C'est trop tard. Vous savez que vous ne pouvez pas me résister... Fermez les yeux... et ressentez ma présence en vous..."

Étrangement je m'exécutais pour me retrouver de nouveau comme sa marionnette, hypnotisée par sa voix langoureuse. Je prenais conscience de l'appel charnel qu'il me lançait, me forçant à me soumettre par le désir. Traître, mon corps, tel un instrument sensible à sa musique, lui répondait, pour se rendre à ses caresses invisibles.

"Non ! C'était impossible !" pensais-je. Je devais me réveiller !!! lui résister... je n'avais jamais voulu cela... pas comme cela !!!"

"Pas comme cela..."

"Non ! Non !"

Je devais réaliser que j'étais à la merci de mon propre cauchemar... 

... Un sombre côté de mon imagination.

Il ne pouvait pas en être autrement...

... Tout cela ne pouvait pas être réel... pas même Aydann...

Je me sentais soudain prise d'un vertige inexplicable comme si mon esprit était résolument opposé à être sa proie.

Je voulais m'évanouir, sombrer dans le néant, disparaître...

Est-ce que cela pouvait être la douleur de la déception et mon coeur qui se brisait d'avoir été traitée ainsi ? 

"Aydann..." répétais-je dans ma tête "Je suis sûre que vous n'êtes pas comme cela..."

Tandis que je le laissais seul... face à sa cruauté et à son cynisme, je me sentis perdre pied...

et sombrer dans l'inconscient...

La suite me vint comme une succession d'images silencieuses qui assaillaient ma mémoire.

Aydann... Ma chambre...

Moi, inconsciente...

Puis le rêve repris le dessus... comme si de rien n'était...

Enfin presque... car il me semblait encore entendre sa voix.

"Je n'ai fait que réaliser chacun de vos rêves, Jane... un par un..."

"Faites de beaux rêves, Chère petite Colombe... Votre heure n'est pas encore venue... "

"Mais je ne m'avoue pas vaincu...".

Puis un profond silence envahit mon rêve jusqu'à ce que je me réveille le lendemain matin, très tard...

... avec cette coutumière sensation d'avoir vécu un rêve étrange.

Décidément, Aydann Crosswood ne sortait plus de ma tête !

Les images du rêve me réapparurent les unes après les autres comme si elles avaient été bien réelles.

"Vous ignorez toujours qui je suis, Jane Steward..."

Le livre ! Il avait disparu ! Et à la place, un magnifique joyau l'avait remplacé !

Le rouge me monta aux joues.

"Je n'ai fait que réaliser chacun de vos rêves, Jane... un par un..." sa voix me revenait en tête comme un leitmotiv.

Mais je fronçais les sourcils.

"Ne croyez pas vous en sortir comme cela, Aydann Crosswood."

 

"J'ai bien compris la leçon. Et vous ne m'aurez pas une seconde fois ! Aussi sûre que je m'appelle Jane Steward ! Et vos cadeaux n'y changeront rien ! "

 

"Nous verrons bien, Jane Steward. Nous verrons bien..." me répondit une voix très lointaine...

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