Journal de Jane Steward - Partie 21 -
Il s'écoula certainement plusieurs heures avant que je ne reprenne connaissance et plusieurs minutes encore pour comprendre ce qui s'était passé.
Je restais allongée sur le parquet, incapable de faire un geste : j'avais trop honte d'avoir failli à la mission que m'avait confiée Emma.
Comment avais-je pu encore céder à la séduction et à l'emprise d'Aydann ?
Je me relevais péniblement. Mon cou était douloureux et je ressentais encore la cuisante morsure qui me lançait encore irradiant ma gorge.
Au souvenir de l'extase qui m'avait encore fait perdre la tête, je sentis mon corps entier défaillir comme un appel inconscient du vampire.
La lourde porte de pierre était encore ouverte mais Aydann ne pouvait pas la franchir comme l'avait dit Emma.
Elle avait, par un simple sort, empêché au Vampire de franchir l'accès de cette salle qu'elle avait appellé Refuge.
De là ou j'étais, je pouvais le voir léviter au-dessus de son cercueil et certainement dormir.
Il était silencieux, immobile, rassassié.
Je n'arrivais plus à bouger de peur de le réveiller.
Je me retournais juste face à cette étrange boule qui semblait représenter les différentes phase de la lune.
"Inutile de me fuir, Jane. C'est trop tard..." entendis-je dans ma tête.
Je tressaillais de la tête aux pieds mais je décidais de ne pas répondre.
Je crus entendre un rire mais il ne dura pas longtemps.
Je sentais qu'il était encore trop faible pour continuer à me narguer.
Je regardais autour de moi et je n'avais qu'une envie : suivre les recommandations d'Emma tant qu'il ne me tenait pas à sa merci.
Je me dirigeais vers le bureau.
J'y trouvais un mot d'Emma comme elle l'avait dit.
C'était étrange, tout semblait si bien préparé, comme si tout avait été orchestré à l'avance. Mais avais-je le temps de me poser ce type de question ? Le doute ne m'aiderait pas à survivre. Croire en Emma semblait être ma seule planche de salut. Je lisais donc la missive qu'elle m'avait laissée :
"Jane, les livres de la bibliothèque sont classés dans un ordre précis. Pour apprendre correctement les rudiments de la magie, il ne faut pas brûler les étapes. Sois rigoureuse : lis et puis expérimente les avec ta baguette magique et enfin essaye tes découvertes sur la table d'alchimie après avoir étudié le grand livre qui s'y trouve."
Je saisissais donc le premier livre. Intitulé : "De la magie, Nomenclatum Un"
Et je me mettais immédiatement à le lire.
J'expérimentais la magie. A ma grande surprise, je fus capable de créer une pomme !
Idéal pour faire taire la faim qui me tenaillait le ventre.
Au moins, je ne mourrais pas d'inanition.
Je me penchais ensuite dans la lecture du grand livre d'alchimie jusqu'à tenter de créer ma première potion.
Je trouvais tous les ingrédients dans les poteries qui jouxtaient la table puis je me lançais dans la conception d'un premier élixir.
Je suivais à la lettre la recette magique gardant en tête que je devais être rigoureuse avant tout : Un peu de cardamone et un peu de poudre de perlinpinpin...
une bonne lampée de tisane de Réséda...
... Et je pus obtenir mon premier elixir de félicité !
Idéal pour tenir le choc et ne pas me sentir trop enfermée dans ce lieu quelque peu lugubre. A garder bien au chaud dans une armoire pour le moment ou la "détention" me paraitrait trop dur.
Je trouvais un grand buffet pourvu d'étagères qui feraient l'affaire pour y ranger mes potions.
Avec fierté, j'y rangeais la première.
J'avais passé une bonne partie de la nuit à étudier les livres qu'Emma m'avait laissés et les premières heures de la journée commençaient à peine, je fus tentée de jeter un coup d'oeil sur mon voisin de chambrée, dormait-il encore ?
Je me dirigeais vers la porte qui nous séparait : je sursautais, il avait disparu !
Un silence total régnait dans la pièce, pas un souffle ni un bruit.
Ou pouvait-il être ?
Avait-il réussi à sortir malgré les sortilèges d'Emma ?
Mon coeur bondit si fort dans sa poitrine que je faillis défaillir. La pomme que j'avais mangée n'avait pas dû suffire, je tremblais encore comme une feuille.
Impossible de m'assurer qu'il n'avait pas réussi à fuir d'où j'étais, je tentais un pas en avant vers le cercueil scrutant la pièce vide. Personne. Allais-je tenter d'aller plus loin ?
Au moment où, je décidais de revenir sur mes pas, je compris que j'avais fait l'erreur de m'approcher, j'entendis un bruit connu juste derrière moi, un crépitement électrique reconnaissable entre mille. Mais c'était trop tard pour revenir en arrière, il me collait déjà. Je sentais son corps froid se serrer au mien, et son souffle glacé dans mon cou.
"Vous êtes si prévisible, Jane Steward..." entendis-je soudain derrière moi. "C'est presque ennuyant..."
Je n'osais bouger d'un millimètre.
Je sentais déjà ses mains sur ma taille et son menton plonger dans mon cou, il respirait l'odeur de ma peau.
"Mon dîner est servi" railla-t'il. "Et à bonne température en plus... Vous êtes parfaite, à point."
"Ne perdez pas votre temps à me flatter " lançais-je agaçée par son ironie. "Et faîtes-donc ce que vous avez à faire..."
Il éclata d'un rire franc.
"A ce rythme là, vous ne tiendrez pas sept jours" railla-t'il "Mais tant mieux pour moi, plus vite, je serai sorti d'ici mieux cela vaudra pour moi. J'ai tant de projets à concrétiser !"
Il minauda tout en se frottant à moi :
"Vous semblez plus vouloir m'aider à devenir un vrai vampire que tenter de m'humaniser... Votre indécision est touchante. J'en tiendrais compte quand je choisirais de vous tuer..."
Je frissonnais. Je comprenais doublement mon erreur, Aydann avait réussi à m'attirer deux fois dans la même journée : il gagnait donc un jour et j'en perdais un.
Comment avais-je été aussi stupide !
Je savais que je n'avais aucune chance de lui échapper vue sa façon de me regarder goulûment.
Il s'écarta pourtant relâchant son étreinte.
"Alors, vous hésitez..." rétorquais-je frondeuse.
"Oui."
Je fus étonnée par sa réaction. Je me retournais juste pour lui faire face et affronter son regard cuisant.
"J'ai tout mon temps..." persiffla-t'il "Contrairement à vous..."
Il eut encore cet agaçant rire de satisfaction.
Je le regardais en silence, le dévisageant sans me rendre compte des pieds à la tête : je détaillais son corps, ses épaules, son torse, son ventre, son visage, sa bouche, ses yeux. Puis je levais une main pour caresser son visage.
Il n'eut aucune réaction à mon grand désespoir.
"Vous me comparez à lui, n'est-ce-pas ?"
Je ne disais rien. Je le fixais droit dans les yeux.
"Je n'ai pas envie de parler avec vous" dis-je soudain "Je suis seulement entrain de me demander si il reste quelque chose en vous d'Aydann Crosswood ?"
Il eut un moment de silence mais ne répondit pas non plus.
"Vous ne répondez pas ?" le questionnais-je à mon tour.
"Non."
Je me détournais de lui.
Inconsciemment, je regardais la porte, elle était située à un mètre à peine : si je m'élançais d'un bond peut-être arriverais-je à me mettre à l'abri. Se laisserait-il berner ?
"N'y pensez même pas..." me souffla-t'il tout en se déplaçant devant moi à une vitesse impressionnante faisant un barrage de son corps entre la porte et moi.
Je frémissais rien qu'à sentir le contact froid de sa peau. Il s'en aperçut.
"Alors ?" me demanda-t'il étrangement.
"Alors quoi ?" reprenais-je surprise.
"Est-ce que j'ai encore quelque chose de "votre" Aydann Crosswood ?"
Je plongeais mes yeux dans les siens sondant son âme, cherchant un autre regard, celui que je connaissais si bien, mais sans résultat : il n'y avait que cet impressionnant orgueil qui l'avait toujours caractérisé.
"Peut-être" dis-je soudain. "Mais je n'en suis pas certaine."
Il me regarda intensément puis eut un petit rictus au coin de la bouche.
"Vous n'en êtes pas certaine !" Il se frappa la poitrine durement avant de continuer d'un trait :
"Et comment voulez-vous en être convaincue alors" tempesta-t'il soudain. "Dîtes-le moi !"
"Hum..."
"Il y a bien un moyen" répliquais-je soudain en le poussant un peu plus vers la porte.
"Et bien j'aimerai savoir lequel ?" tonna-t'il violemment.
Je l'attirais à moi et l'embrassais passionnément.
"Alors " demanda-t'il amusé.
Le baiser avait été rapide et j'étais franchement trop occupée à grapiller quelques centimètres vers mon refuge pour avoir ressentie quoique ce soit. Spontanément, je rétorquais par la négative.
"Mauvaise réponse..." me dit-il en accrochant mon regard de ses yeux rougeoyants.
Je tressaillais sous la menace sous-jacente car il me gardait bien serré dans ses bras me bloquant tout échappatoire.
"Je vais vous montrer comment vous pouvez retrouver votre cher Aydann crosswood et cette fois, à ma façon.... et là, vous ne pourrez pas dire qu'il n'est là avec vous..."
Sans plus d'égard, il me plaqua à lui pour attraper ma gorge. Je dus m'accrocher à lui pour ne pas défaillir, assaillie par sa voracité.
Au moment où ces crocs pénétrèrent dans ma peau encore endolorie par ma première morsure, le plaisir me submergea.
Il avait raison, c'était là que je retrouvais mon Vampire, à cet instant crucial où j'étais suspendue à ses lentes succions.
Il eut un petit râle étrange comme si lui aussi se retrouvait à l'unisson partageant le même instant d'extase.
Puis il me pressa tout contre lui, soudain plus nerveux. Je sentais ses aspirations s'accélérer, mon pouls devenir plus rapide et mon coeur s'emballer.
La peur me gagna à l'instant où je compris qu'il allait au-delà de ce que je pouvais lui donner et que ma vie semblait s'egrenner au rythme de ses prises, et partir lentement.
Soudain ce fut comme si je me voyais hors de mon corps, la mort au-dessus de moi. Si il continuait, il réussirait à m'affaiblir et je serai à sa merci pour toutes les saignées qu'il voudrait !
"Jane ! Réagis où tu vas mourir !"
Mais je ne pouvais pas, c'était comme si, au-delà de la morsure, il y avait une anesthésie totale de ma volonté... et où même la mort ressemblait à une douce compagne.
"Aydann" murmurais-je.
"Oui, Jane. Aydann. Mais c'est trop tard, il n'existe plus."
Je ne comprenais pas ce qu'il voulait dire.
Je me sentais déjà si faible, qu'une saignée de plus et je fléchirais à terre : je pourrais être ainsi à sa merci, tout à sa guise.
Mais il ne recommença pas : il me regardait fixement tout en se léchant les lèvres se délectant encore du sang que je lui avais donné.
Je voyais mon vampire se conduire tel un animal tandis que je vacillais dangereusement. Je prenais conscience qu'en cet instant précis il m'échappait et redevenait le monstre sauvage qu'il était, et que, à cause de mes faiblesses, je n'avais rien pu faire contre. Il n'avait plus qu'un geste à faire, tendre la main pour me ramener à lui et continuer, à me vider de mon sang et sans repaître.
Allait-il me donner le coup de grâce ?
Le Vampire plongea ses yeux infernaux dans le miens me soutenant d'un seul bras pour m'empêcher de tomber ; tandis que je m'effondrais, il retrouvait sa force.
"Je te l'ai dit contrairement à toi, j'ai tout mon temps..." railla-t'il.
Son ironie était quasi insupportable. Je baissais les yeux incapable de soutenir son regard impitoyable et détaché.
"Je te donne une dernière chance... " continua t'il d'une voix glaciale.
"Pour te récompenser de ton audace malgré les stupides erreurs que tu as commises à mon encontre..."
"Je parle de ta piètre tentative de séduction et du baiser bien sûr..."
Il gloussa méchamment :
"Si simplement insipide."
Il eut un geste dédaigneux à mon égard puis se détourna lascivement avant d'ajouter froidement :
"Tu vois, Jane, l'ennui avec toi c'est que tu es incapable de te résoudre à l'évidence. Tu es bien trop naïve. Je te l'ai déjà dit cela te perdra..."
Mes jambes fondirent sous sa cruelle réflexion et je tombais à terre.
Il continua froidement sans se soucier de moi :
"Va te cacher, Jane. Aujourd'hui, je serai magnanime avec toi mais demain prépares-toi au pire..."
J'étais tellement brisée par l'insensibilité de ses mots que je restais agenouillée sans bouger, tétanisée par son amertume tandis qu'il s'éloignait de moi.
"Si tu ne sais pas ce que le mot Enfer veut dire, tu vas le comprendre... Ainsi tu sauras aussi qu'on ne peut pas aimer un damné. Tiens toi-le pour dit..."