Fantômes et Représailles… (1)

J’allais de pays en pays… passant de villes en villages… allant où le destin m’emmènerait… sans but précis… un pauvre hère qui ne cherchait rien… sinon la retraite paisible de son âme humaine…

Depuis des années maintenant, ayant quitté les déserts arides de mon pays, j’allais sur les collines verdoyantes des pays au-delà des mers quémandant logis et couvert en échange de mes maigres services. J’avais vu pas mal d’étranges choses durant mes voyages, tant et tant que l’idée mettait venue de les raconter en nouvelles…

Celle que j’ai envie de vous conter commence au temps jadis où la malveillance sommeillait déjà dans le cœur des hommes…  j’eus peine à me rendre compte qu’elle sommeillait à mon grand dam dans le cœur d’une femme, d’une très belle femme : Une femme dont je fus l’un de ceux, et ils furent nombreux… qui en tombèrent amoureux. 

Le château m’apparut au lointain comme un sinistre navire luttant contre la tempête. Ses hautes tours et sa massive stature semblaient lutter pour survivre dans ce terrible chahut que faisaient en concert le vent et la pluie. Harassé par une longue marche, j’aurai pu me satisfaire d’un tronc creux pour y passer la nuit et cesser ma marche jusqu’à ce que le temps se calme mais comme Ulysse enchanté par le chant des sirènes, je ne pouvais m’arrêter d’avancer et de réduire la distance qui m’en séparait comme attiré par ses affres…

Aucune lumière ne semblait montrer une présence humaine en ses lieux sombres.  Pourtant, au loin, il me semblait entendre des bruits sourds et réguliers… qui m’intriguèrent… Je dus faire le tour du château en prenant bien garde  de  ne pas tomber dans les douves pleines d’eau qui l’entouraient… Lorsque je fus à la hauteur d’une des fenêtres du château, accessible d’une colline plus en amont, je fus surpris de découvrir un prisonnier qui martelaient consciencieusement un bloc d’argile et…

   

un autre qui jouait de la guitare...

Une prison ! pensais-je de suite. Quelle étrange découverte !! Je déambulais descendant la colline couverte de brouillard pour rejoindre la route, la pluie avait cessée depuis longtemps mais le sol glissait. Prudence  est mère de sureté... Je ne trouverais ici aucun logis, ni aucune offre de couvert. Les gardiens de cette prison aurait plutôt tôt fait de me mettre aux fers si il me voyait rôder dans les parages…  Je m’apprêtais à rebrousser chemin quand alerté par mes sens, j’entendis du bruit plus haut sur la colline…  Une ombre se glissait à cette heure tardive vers les brumes mystérieuses des montagnes… aussi légèrement et habilement qu’une biche.

Habitué à ne pas être vu, je glissais à mon tour le long des buissons épais pour suivre la mystérieuse créature.

         

Bien que la dame fut habillée en noir des pieds à la tête et qu’elle avait les cheveux couvert d’une coiffe, je distinguais avec surprise la jeunesse d’un visage baigné par les larmes… puis au sol, une tombe dressée dans la nuit devant la belle semblait se recueillir.

                  

Intrigué par cette apparition, je décidais de suivre des yeux la jeune femme m’imaginant qu’elle devait être la veuve d’un prisonnier et qu’attaché à son époux, elle continuait à lui rendre hommage en ces lieux qui l’avait vu périr…  Mais au lieu de la voir s’éloigner du château et de la voir prendre le chemin de chez elle, je la vis descendre des collines et prendre un chemin qui menait au château et y entrer. Ainsi la belle inconnue logeait au château ! Serait-elle la fille des geôliers qui tenaient cette prison ? Quel ignominieux endroit pour une jeune fille que cette lugubre prison ! Mû d’un instinct chevaleresque, je redescendis rapidement le chemin caillouteux afin de frapper à la porte du domaine. Mais pas de réponse. Personne. Plus un bruit…

La pluie avait cessé depuis longtemps maintenant et le silence régnait en ces lieux étranges. Exténué par une marche qui avait duré toute la journée, je me décidais à trouver un abri contre un contrefort du château et sans tarder je sombrais dans un sommeil que je voulais réparateur. Rien ni personne ne m’aurait réveillé…  J’en étais certain, il en avait toujours été ainsi…

Sauf que ce soir-là… mon instinct m’indiqua que je me trompais… Quelque chose s’approchait lentement de moi... et me réveilla. Doucement je me redressais. Tout en moi me disait que je n’avais rien à craindre… Je restais sans bouger à attendre, en détournant le regard.

“Tu es sage, Etranger…” me dit soudain une voix très basse presque à mes côtés. “mais soit aussi avisé… Ne reste pas à dormir ici et passe ton chemin… Beaucoup d’entre nous ont été comme toi imprudent… Quittes ces lieux sans tarder… Sinon le destin pourrait te jouer des mauvais tours…”

“Le destin est mon maître et il me conduit là où il veut… je ne suis que son humble serviteur et j’ai choisi de toujours accepter ce qu’il m’offre sans faire le tri…”

Mon visiteur se tût juste pour quelques instants :

“Tu as le sens de la droiture, Etranger et cela est très louable et juste. Mais je suis sûr aussi que tu possèdes le sens de la raison. Ta raison te pousse t’elle à suivre tout de même le mauvais chemin même si on te le désigne ?”

“Je serai avisé grâce à toi, Esprit… sois en remercié… mais ce qui a été mauvais pour toi ne le sera pas forcément pour moi… C’est aussi un juste regard de ce que les actions peuvent être ? Non ? Jamais je ne porte un jugement face à l’épreuve. C’est ainsi que je conduis ma vie sans manquer pour autant de raison…”

J’entendis un long et plaintif soupir avant d’entendre :

“Passe ton chemin, Etranger.. Ici il n’y a que désolation et désespoir… pour tous… et nul n’échappe à cette destinée…”. Puis il disparut d’un coup.

De nouveau seul, je sombrais dans un sommeil lourd et dépourvu de rêves, le corps trop bien fatigué.

Au petit matin, le silence régnait en maître dans ces lieux étranges, seul les oiseaux semblaient y avoir pris leur quartier, et ils criaient à tue-tête apparemment agités par ma présence. Malgré eux, j’allais frapper à la porte espérant qu’enfin quelqu’un m’ouvre pour m’offrir un peu d’eau.

Mais personne ne semblait vouloir venir ou montrer sa présence ici. Je n’obtiens aucune réponse. Seulement les coassements incessants des corbeaux et leur insistance à vouloir me chasser.

        

Pire, ils semblaient épier le moindre de mes faits et gestes en tournoyant au-dessus de ma tête. Un seul d’entre eux s’était posé à mes pieds, bien éloigné des autres.

J’étais surpris par son regard fixe, rivé sur moi, et presque menaçant. Mais je n’avais pas pour habitude de m’en prendre aux oiseaux, ni à personne d’ailleurs. N’étaient-ils pas - à juste titre - les vrais maîtres de ces lieux et présents ici avant moi ? Je me surpris à lui adresser la parole comme si l’oiseau pouvait me comprendre.       

“Je ne cherche rien que de l’eau et un peu de nourriture pour continuer ma route… et un endroit où me reposer en paix…

je suis harassé d’un très long voyage et transi de froid…”

Comme par miracle, l’oiseau sautilla puis se dirigea vers la porte. A ma grande surprise, je vis la lourde porte s’ouvrir devant lui et il s’arrêta net, comme pour m’inviter à entrer. Je me sentais affamé, brisé par mon voyage et meurtri. Que m’importe que cet oiseau puisse être le Diable en personne ; il ferait bien une pause pour accorder à un guerrier fatigué de se remettre de ses peines avant de reprendre le combat. Mon âme téméraire en était presque sûre, même les guerriers avaient besoin de repos...

Je suivais donc l’oiseau à l’intérieur au moins la porte était ouverte…

A SUIVRE…